• De la rédemption (1/2) : Z32, de Avi Mograbi (Israël), et Boy A, de John Crowley (Angleterre)

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Où ?

Au MK2 Beaubourg pour Z32 et au ciné-cité les Halles pour Boy A

Quand ?

Samedi, à 18h et 20h30

Avec qui ?

Ma femme, et les deux fois des salles pleines

Et alors ?

Cela n’avait rien d’un fait exprès, mais les trois films (Gran Torino suivra dans un prochain article) que nous avons enchaînés samedi soir en guise de rattrapage des dix jours
passés loin des salles françaises de cinéma tournent tous autour de la question de la possibilité ou non de la rédemption, sur trois continents et dans trois jeux de circonstances différents. Le
bilan est en termes de qualité est plus disparate : il y avait – dans l’ordre de visionnage – le très bon (Z32), l’inabouti (Boy A) et le magistral
(Gran Torino).

Z32 est l’œuvre de l’électron libre du cinéma israélien, Avi Mograbi, connu pour ses films documentaires farouchement anti-guerre aux titres évocateurs tels que Comment
j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon
ou Pour un seul de mes deux yeux. Il s’y met lui-même en scène, le plus souvent face caméra, une spécificité qui
réapparaît dans Z32 mais de manière modérée. Le héros du récit n’est en effet plus Mograbi mais un jeune (la vingtaine) vétéran de l’armée israélienne, qui a fait son service
militaire – obligatoire là-bas – dans les forces spéciales pendant la deuxième Intifada, et qui s’est rendu coupable de plusieurs crimes de guerre au sein de son régiment. De peur d’être reconnu
par des membres des familles de ceux qu’il a tués ou par la justice internationale, ce soldat tient à conserver l’anonymat – son identité nous restera donc inconnue, et ses traits ainsi que sa
voix brouillés. Mais il souhaite tout de même témoigner, pour des raisons qui restent incertaines y compris sûrement pour lui : exorciser ses démons et trouver une toute relative paix
intime ? partager ce fardeau avec d’autres personnes ? ou obtenir dans la réaction de celles-ci une hypothétique absolution des péchés commis ?


Le problème est ardu, pour le soldat comme pour les récipiendaires de sa confession que sont sa copine et le réalisateur. Loin de filer droit vers une réponse, libératrice ou fin de non-recevoir,
Z32 tourne en rond, piétine, incapable de mettre à distance cette injustifiable vérité dévoilée (aucune scène du film qui ne soit pas obsédée par « ça »), mais aussi de
s’en approcher suffisamment pour mieux l’empoigner, la déchiffrer – rappelons-nous que pour y parvenir, un autre Avi (Folman) avait dû en passer par l’artificialité du dessin animé dans Valse avec Bachir. En s’en tenant strictement à des
images réelles, Mograbi et son soldat se retrouvent face à un vide immense. La représentation la plus frappante de celui-ci intervient lorsque les deux hommes vont en Cisjordanie sur les lieux
d’un des assauts qui hantent le soldat (contre des policiers palestiniens désarmés et choisis au hasard pour des représailles). Nu, désert et impersonnel, l’endroit ne porte aucune trace des
événements du passé. Impossible de se raccrocher à quoi que ce soit pour se remémorer, expier ou même se convaincre de la véracité de ses souvenirs.

Reste alors à trouver comment se comporter une fois qu’un tel récit de fait divers guerrier fait irruption dans votre propre vie. Z32 a l’audace de montrer en direct, avec une
spectaculaire honnêteté, deux tentatives individuelles. Sans trop de surprise, celle de Mograbi passe par l’expression artistique de ses dilemmes et pensées. Des chansons intervenant ça et là
dans le récit et interprétées par le réalisateur, vestiges du temps où il pensait donner à l’histoire une forme opératique, explicitent ses questionnements par des paroles contradictoires :
« je cache un assassin dans mon film », « cachez son visage pour pouvoir lui parler ». L’évolution au fil du film du masque recouvrant le visage du soldat et
de sa copine donne pour sa part un début d’ouverture, en allant par étapes du plus brut – le classique flou intégral – au plus humain. La logique du processus est formulée par Mograbi dans la
scène d’ouverture, et mène jusqu’à l’attribution au soldat d’une « nouvelle peau » en images de synthèse, au réalisme tellement étonnant que le cinéaste est obligé de laisser
volontairement des erreurs grossières (par exemple une main qui passe sous le « visage ») pour expliciter l’artifice. Le soldat qu’il filme a le droit à un regard, à une expressivité, à
un visage même si ce n’est pas le sien, car il est un être humain ; de cela au moins Mograbi est sûr.


L’épreuve de compréhension et de clémence de la copine du soldat est plus pesante. Plus impliquée émotionnellement, elle a à sa disposition moins d’échappatoires que Mograbi et le procédé que les
deux jeunes ont choisi pour apparaître dans Z32 (une caméra qu’ils déclenchent eux-mêmes et qui les filme chez eux, en l’absence du réalisateur) le fait implicitement sentir.
Cadrages non réfléchis et qui n’offrent dès lors la plupart du temps pour toute perspective que des murs nus et anonymes, échanges verbaux hésitants, coupes sèches rapprochent ces sections du
film du dispositif de Cloverfield sur la forme -
d’aspect amateur – ainsi que sur le fond, universel et sans prise sur les événements (je reviendrai au moment de sa sortie en France sur un autre film tout aussi différent et se rapprochant lui
aussi des codes de Cloverfield, Rachel se marie). A New York comme en Israël, en fiction comme dans le documentaire, c’est une même cassette vidéo intimiste
enregistrant les terreurs de notre époque que l’on découvre.

Boy A se situe dans un pays en paix, l’Angleterre. Mais là autant qu’ailleurs des actes horribles peuvent se dérouler, comme celui qui a envoyé en prison à 13 ans Eric Wilson, le
héros du film. Lorsqu’il en ressort dix ans plus tard, c’est sous la nouvelle identité de Jack Burridge et dans une nouvelle ville pour avoir le droit de (re)commencer sa vie en paix après avoir
purgé sa peine envers la société. Un tel point de départ est une excellente idée de long-métrage, portée qui plus est par deux acteurs idéalement choisis. Peter Mullan apporte sa force tranquille
à un métier hautement cinégénique (assistant à la réinsertion de personnes telles que Jack/Eric), et l’air doucement ahuri et ravi du jeune Andrew Garfield colle à merveille au déroulement rêvé
de la seconde chance donnée à son personnage, entre relation sentimentale idyllique et métier tranquillement prenant.


Dans la droite ligne du pessimisme social et moral aigu du cinéma anglais dramatique, Boy A ne développe un tel bonheur que pour le voir sombrer dans une spirale finale de
déchéance. La thèse du film, selon laquelle puisque la rédemption et la réinsertion d’un individu ne sont pas uniquement son affaire personnelle mais celle de toute la société qui l’entoure, il y
aura toujours une personne pour faire échouer ce dessein, est tout à fait défendable. Mais Boy A la déroule d’une mauvaise manière, en étirant à l’excès la phase de suspension
au-dessus du vide – « jusqu’ici tout va bien » – et en accordant à peine un regard à ce qui est réellement intéressant, à savoir la chute elle-même et ce qui vient après. La place
donnée au passé violent du héros, exagérée et surtout maladroite (un flash-back qui s’étend inutilement d’un bout à l’autre du film), tient de la même tendance factice, qui s’attarde trop sur la
surface spectaculaire des choses et pas assez sur leur profondeur morale. Boy A évite de dériver jusqu’à devenir contre-productif, mais il laisse tout de même le sentiment d’un
coup dans l’eau.

A suivre : Gran Torino


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