• Cannes, 18 mai : Mekong hotel, d’Apichatpong Weerasethakul

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En ce deuxième jour de festival, la vedette a été volée à la compétition officielle par sa petite sœur, la sélection Un Certain Regard. La première a traîné sa peine d’un film autrichien post-Haneke, Paradis : amour, que tous ou presque s’accordent à trouver plombant et stupidement révoltant (tout à fait dans le moule du nouveau cinéma autrichien, donc), à un long-métrage italien déjà plus valable mais dont même ceux qui le défendent pointent les défauts assez nombreux (Reality, par le réalisateur Matteo Garrone révélé avec Gomorra). Pendant ce temps, Un Certain Regard faisait se succéder le premier buzz surprise du festival, l’américain Les bêtes du Sud sauvage, et le premier buzz prévendu voire survendu, l’épopée romantique de 2h40 du très jeune canadien Xavier Dolan – Laurence anyways est déjà son troisième long-métrage à seulement 23 ans.

Un Certain Regard marque à la culotte la compétition officielle sur un autre point : après celle-ci, accessible uniquement sur invitation ou badge de presse, elle est la plus rude dans son système d’accès aux projections. La classe des modestes Cannes Cinéphiles dont je fais partie n’y est même pas mêlée au niveau juste au-dessus du notre (les accrédités Festival et Marché du Film) dans la file d’attente ; nous y passons littéralement après tout le monde, et récupérons les miettes de places disponibles. Soit ce matin, pour la première présentation des Bêtes du Sud sauvage, pas plus de cinq ou six miettes, que j’ai pu compter avec ce degré de précision puisque j’étais dans la vingtaine suivante, laissée le bec dans l’eau – de manière tout à fait appropriée, une grosse averse se déclencha à ce moment précis dans le ciel cannois, comme un fait exprès ironique. 2 heures de queue pour rien : voilà une journée qui débutait joyeusement. Le soir, rebelote pour la projection de Laurence anyways à 22h15, avec un peu plus de miettes (une quinzaine) mais toujours pas assez pour me compter parmi les élus. Tant pis, je suis rentré plus tôt et pour ma peine me suis acheté un cornet de glace en chemin.

Entre ces deux attentes infructueuses, l’après-midi fut heureusement mieux fournie avec deux petits films enchaînés coup sur coup. Le premier, le français Alyah d’Élie Wajeman (à la Quinzaine), est petit par sa qualité. Alors qu’il a tous les éléments nécessaires à la constitution d’une belle histoire autour de son héros juif et dealer de drogue qui se met en tête de tout plaquer pour partir s’installer à Tel-Aviv – de bons personnages, des enjeux tragiques, des variations de ton entre la chronique humaine, l’humour distancié, la romance, le thriller – il n’en fait rien ou presque, à force de tout survoler trop vite, de trop loin. L’épilogue est assez terrible dans son énonciation que le film ne va nulle part. Avec en plus une mise en scène transparente et une sous-exploitation de ses comédiens, Adèle Haenel (L’Apollonide) en tête.

Le second film n’est petit que par sa durée : Mekong hotel, première création du thaïlandais Apichatpong Weerasethakul depuis sa Palme d’Or pour Oncle Boonmee, dure une heure tout rond. Réunissant trois personnages au bord du fleuve Mékong, il navigue entre documentaire et fiction avec une fluidité et un naturel extraordinaires. Le documentaire se nourrit de fantômes du réel (ceux du conflit armé entre les deux pays séparés par le fleuve, le Laos et la Thaïlande), et la fiction de fantômes rêvés – les pobs, spectres se nourrissant de chair animale et humaine. La bestialité frontale de ces derniers et la violence rentrée des souvenirs de guerre se répondent, se nuancent, se fragmentent et se recomposent, suivant un chemin qui ne se révèle qu’à mesure que nous l’empruntons. La même beauté simple, le même mystère caressant que ceux qui habitaient Oncle Boonmee sont à l’œuvre, mais intégrés à un canevas plus resserré (dans le temps et dans l’unité d’action) qui, à mon sens, leur donnent plus de valeur encore. Sur la forme, la patte Weerasethakul n’a elle non plus rien perdu de son charme délicat : les plans sont composés avec sensibilité, leur longueur est le véhicule de notre envoûtement, la bande-son est aussi audacieuse (une boucle sur une unique ritournelle à la guitare sèche) que bienveillante – loin de lasser, elle forme un cocon où l’on se sent bien. Vous l’aurez compris, Mekong hotel est le premier grand moment de mon festival.

Une réponse à “Cannes, 18 mai : Mekong hotel, d’Apichatpong Weerasethakul”

  1. pim_pam dit :

    Oh! Melvil Poupaud dans un film de Dolan! c’est le comble du bonheur pour la cinéphile que je suis. Vraiment Xavier fallait pas.

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