• Bronco Billy, de Clint Eastwood (USA, 1980)

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Où ?

A la Cinémathèque, dans le cadre de la rétrospective consacrée au réalisateur (jusqu’à la semaine prochaine)

Quand ?

Mercredi après-midi, entre Noël et le Nouvel An

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Clint Eastwood n’a pas fait beaucoup de comédies. Si l’on excepte l’humour involontaire de Firefox, l’arme absolue et la première moitié de Space cowboys, le total se résume à un film : Bronco Billy. Un mélange de conte de Noël rayonnant et d’autodérision décapante, improbable de la part de l’Inspecteur Harry et qui fut d’ailleurs très mal reçu au moment de sa sortie. Eastwood n’y renie pourtant rien de sa personne ni de ses convictions. Il déplace juste légèrement la position depuis laquelle il les observe. Dans Bronco Billy, il est toujours question de l’Ouest américain (le film suit la troupe d’un cirque sur le thème du Far West et arpentant ces mêmes États), de la certitude profondément enracinée en Eastwood cinéaste que le salut passe par l’appartenance à une communauté – que l’on choisit et non que l’on subit –, et de la difficile question de l’ajustement entre la figure fantasmatique de virilité et d’autorité qu’Eastwood acteur incarne, et le monde réel. Le décalage opéré vis-à-vis de ces thèmes repose sur la manière la plus classique de transformer le tragique en comique : instaurer un niveau intermédiaire entre le spectateur et le sujet, qui filtre ce dernier et le déréalise, en atténue la rugosité.

Ce filtre est ici la mise en abîme par le spectacle de cirque, qui permet le passage de l’amer Josey Wales hors-la-loi au sucré Bronco Billy sur la base d’une histoire très ressemblante – la lutte au quotidien pour sa survivance et son unité d’un petit groupe hétéroclite, rassemblé sans l’avoir voulu par un même rejet de la part de la majorité dominante. Il y a là des pestiférés de toutes sortes, indiens, déserteurs, repris de justice, ratés professionnels ou conjugaux. Il y a surtout, autour d’eux, un regard qui les enveloppe avec une douceur peu commune et particulièrement précieuse. Eastwood ne triche pas avec ses protagonistes, qu’il accompagne fidèlement dans leurs petits succès comme dans leurs grosses galères, et dont il souligne dans une égale mesure les qualités et les défauts. On apprend d’abord à les connaître, par petites touches qui finissent par composer un portrait franc et entier ; puis on apprend à les aimer, comme peu d’autres cinéastes qu’Eastwood savent faire aimer des personnages faisant voler en éclats le carcan des stéréotypes. Bronco Billy évoque les beaux films de groupes de Capra ou Hawks, jouant volontiers sur des ressorts comiques extravagants en surface (l’attaque du train, aussi courte que ratée, menée par Bronco et ses compères est un bijou dans le genre absurde) et cependant résolument humanistes sur le fond. Le happy-end qui récompense les efforts des personnages au bout de leur chemin y apparaît comme une conviction du cinéaste, non comme un calcul ; c’est pour cela que l’on y adhère avec enthousiasme.

La bonne humeur facétieuse et l’humour goguenard à l’œuvre dans Bronco Billy sont un excellent levier pour Eastwood pour se moquer de lui-même, et ainsi mutiler activement sa légende d’une première entaille profonde, bien avant de voir venir à lui les arguments naturels du déclin physique et de l’inéluctabilité de l’approche de la mort (employés depuis Impitoyable jusqu’à Gran Torino). Le pistolero meneur de bande qu’il se donne à interpréter se voudrait de la trempe des héros mythiques de l’Ouest, mais la société qui l’entoure n’a pour lui ni respect, ni admiration, ni même – et c’est le pire – un quelconque intérêt. Menée tout en finesse, la critique introspective à laquelle se soumet Eastwood a quelque chose de vertigineux quand on y regarde de plus près : il joue un homme qui a choisi de consacrer sa vie à jouer à être l’icône Eastwood, mais ne rencontre aucun écho correspondant parmi son public (celui du cirque et celui de sa vie). Sans connexion, cette icône n’a plus de légitimité, elle n’a plus lieu d’être. Sa place est parmi les spectacles de foire, quelque part entre les clowns et les grandes roues, et elle n’est plus dans le cinéma d’Eastwood, qui a pour ambition de parler du monde et des gens réels. Au moment de couper définitivement les ponts avec son image passée, Eastwood fait en sorte que les adieux soient les plus paisibles possibles, via la gaité qui règne dans Bronco Billy. C’est aussi cela qui fait que le film est si touchant et rayonnant.

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