• Batman begins, de Christopher Nolan (USA, 2005)

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La décision de confier à Christopher Nolan le reboot de la franchise Batman, laissée dans un état de mort clinique après son double viol par Joel Schumacher (Batman forever, Batman & Robin), si elle a aujourd’hui tout du coup de maître, reste une énigme. A l’époque, du haut de ses 34 ans le réalisateur anglais n’avait en effet à son actif que deux thrillers cérébraux fauchés, Follower et Memento, et un troisième, plus fortuné mais tout aussi rugueux – le remake réussi du film norvégien Insomnia, valant ticket d’entrée validé pour Hollywood. Soit les pontes de la Warner qui ont fait appel à Nolan (qui venait d’abandonner un projet de biopic d’Howard Hughes) sur ces bases étaient audacieux et de bon goût – on peut rêver –, soit ils misaient tout sur l’étoile montante choisie pour revêtir le costume du justicier, Christian Bale. Résultat, malgré son incapacité notoire, et toujours pas corrigée, à mettre en boîte une scène d’action lisible, Nolan est devenu avec le succès de Batman begins une figure majeure du blockbuster… d’action. Le malentendu, qui s’est ensuite perpétué avec le fantastique The dark knight et le raté Inception, a percé une autre voie pour cette catégorie de films, plus adulte, ambitieuse et sombre, sans vaines gesticulations ; voie que bien peu ont suivi, car elle comporte évidemment plus de risques et moins de garanties de rentabilité immédiate.

Le mélange d’audace et de maturité, érigé en principe de base du scénario, est ce qui frappe le plus dans Batman begins – et garde toute sa force à chaque nouvelle vision. Sans observer le moindre round d’observation, Nolan nous lance immédiatement dans le feu de l’action, aux côtés d’un Bruce Wayne égaré physiquement et moralement dans un environnement étranger, à la beauté homérique et hostile. Cette épreuve initiatique va façonner en profondeur le devenir héroïque du personnage, autant que notre expérience de la suite du film, une fois que celui-ci aura rejoint Gotham City et la lutte de Batman contre la vermine. Même sur ces terres plus attendues, le récit reste imprégné de la volonté de nous fragiliser, nous garder dans un état d’instabilité et d’incertitude permanent. Sans aller aussi loin dans la manipulation de la narration que pour les scripts tortueux de Memento et du Prestige, Nolan reste toutefois dans ce même esprit, adapté aux exigences d’un projet visant un large public. Il gère avec beaucoup de maîtrise la balance entre les informations qu’il dévoile et celles qu’il tait, et avec une précision impressionnante le timing. Tout est minuté à la manière d’un casse conçu par un cerveau du crime, avec pour résultat un film au rythme haletant, sans la moindre baisse de régime, qui nous remue comme un otage ignorant tout de ce qui l’attend à chaque tournant.

Le syndrome de Stockholm marche à plein car pour accomplir son forfait, Nolan s’en remet à des recettes d’intrigue éprouvées, héritées de décennies de films noirs : une machination complexe, à tiroirs, des ennemis qui ne se révèlent qu’au fur et à mesure, un faisceau d’alliances et d’allégeances entre les protagonistes en évolution permanente. Comme dans tout bon film noir digne de ce nom, la ville qui couve les individus tient un rôle fondamental, à mille lieues de faire simplement tapisserie en arrière-plan. Sa géographie pilote le récit, son humeur altère le comportement des personnages, son apparence, à la fois ténébreuse et majestueuse, dense et élancée, fixe un cadre émotionnel des plus volatils. Gotham City accole en effet les contraires (la nécrose des Narrows, la morgue des voies rapides ou de la Wayne Tower) avec la même brutalité fascinante et rebutante que le New York du Bûcher des vanités de Tom Wolfe. Dans un tel contexte, les frontières morales entre le Bien et le Mal deviennent à leur tour bien minces, les argumentaires et les solutions des uns pouvant être repris par les autres avec un minimum de modifications effectives pour un renversement idéologique maximum. L’univers clos de Gotham City est un miroir grossissant qui renvoie de notre société une image troublée, en revenant au cœur de la problématique attachée à Batman (et plus généralement à la figure du super-héros) : le pouvoir individuel et les responsabilités et restrictions qu’il implique, la ligné ténue entre justice et vengeance.

Pessimiste farouche, Nolan ne dévie pas de sa ligne simplement parce qu’on lui a mis une franchise entre les mains. Son Batman est fidèle au cahier des charges : épique (soutenus par la musique de Hans Zimmer, les plans donnant des frissons sont présents en nombre) et disposant de tout son attirail de gadgets, à l’origine et au look réinventés avec verve. Mais, à l’instar des héros maudits des autres films de Nolan, il se plie au credo de celui-ci ; qui est que lorsque vos intentions, aussi bonnes soient-elles, vous poussent à des actes mauvais, il n’y a plus de retour possible. Alors le seul moyen de ne pas rester piégé pour toujours dans ces limbes moraux (Memento) est dans la mort (Insomnia, Le prestige). Ce propos sera fouillé plus radicalement dans la suite grandiose qu’est The dark knight. L’existence de ce dernier fait désormais passer Batman begins pour l’esquisse au fusain d’un tableau de maître à venir, sur cet aspect comme sur pas mal d’autres : le charisme des bad guys humains et monstrueux à la fois (Ra’s al Ghul et Scarecrow sont des petits joueurs comparés au Joker et à Double Face), la parabole politique, la démesure des scènes de démolition. Mais après tout, il est des esquisses qui gagnent le droit d’être elles-mêmes exposées dans les musées à côté de l’œuvre définitive.

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