• All is lost, de J.C. Chandor (USA, 2013)

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Où ?

À Deauville, en compétition au Festival du film américain (où le film a obtenu le Prix du jury)

Quand ?

Début septembre

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Prêt depuis mai (il est passé par Cannes, hors compétition), mais gardé dans les cartons jusqu’en décembre, All is lost n’échappe de ce fait pas à la comparaison qui tue : « c’est comme Gravity, mais sur l’océan et en moins bien ». Forcément, tout est moins bien que Gravity en cette fin d’année, et un film aussi proche de ce dernier que l’est All is lost en souffre encore plus – pourtant il est lui-même très bon. Dans sa constitution les différences sont d’ailleurs assez nettes entre le long-métrage de J.C. Chandor et celui d’Alfonso Cuaron, et rangent chacun dans des cases bien distinctes : film d’auteur pour le premier, hollywoodien pour le second. All is lost n’a pas de décor à la lisière du fantastique, pas de péripéties extraordinaires, pas de « stratagèmes » narratifs pour casser l’isolement et permettre l’irruption de dialogues au sein du silence allant naturellement de pair avec cette situation. All is lost est monosyllabique, et ce n’est là qu’une des manifestations de l’épure absolue qui y règne.

Cette ascèse artistique, qui réduit le film à un pur journal de bord factuel des galères (collision avec un container à la dérive, tempête démentielle) frappant le narrateur seul à bord de son voilier, et des maigres actions correctives qu’il entreprend pour y faire face et survivre, entraîne une scission non seulement avec Gravity mais vis-à-vis de tout le reste du monde cinématographique. All is lost est aussi bien Gravity ou Apollo 13 sans Houston que L’odyssée de Pi sans le tigre ou Seul au monde sans Wilson. Par ce biais, l’ambition de Chandor est de reproduire le plus fidèlement possible la fracture qui s’ouvre, béante, entre son protagoniste et l’humanité, et ainsi de nous amener à la ressentir dans toute sa véhémence. Manger et boire, dormir, s’abriter du soleil et garder des vêtements secs : les besoins du héros étant soudain réduits à une liste relevant du reptilien, c’est à cette part de notre cerveau que le cinéaste s’adresse. Les difficultés qui jonchent All is lost sont rendues littéralement aussi éprouvantes moralement pour nous, pourtant confortablement installés dans notre siège, qu’elles le sont physiquement pour le personnage.

Le film dans son ensemble devient une épreuve, inconfortable mais intense. Toutes les deux remarquables, la rudesse endurcie de la mise en scène, qui trouve matière à tension partout sans jamais perdre en fluidité ni en rythme, et l’interprétation toute en retenue et en résilience de Robert Redford, qui encaisse les coups sans se décomposer, nous saisissent et nous engagent dans l’aventure de façon permanente. Aucune défaillance ne menace de nous faire décrocher, si ce n’est peut-être l’accablement qui va en s’accumulant au fil des calamités qui s’abattent sur le héros. Comme, contrairement à d’autres, je n’ai pas discerné la présence d’un sous-texte faisant du film le véhicule d’un message plus profond sur notre monde, All is lost m’a paru perdre en pertinence dans sa partie finale. Chandor y flirte dangereusement avec un acharnement, anti-thérapeutique pour le coup – continuer coûte que coûte à faire souffrir son personnage. Heureusement, la dernière image, très belle, très forte, fait retomber la pièce du bon côté. Tout cela n’était pas en vain.

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