• Une vie secrète, de Jon Garaño, Aitor Arregi & José Mari Goenaga (Espagne, 2019)

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Où ?

A la maison, en DVD édité par Epicentre Films Editions (sorti le 20 juillet 2021, également en VOD) et obtenu via Cinetrafic dans le cadre de leur opération « DVDtrafic »

Quand ?

Lundi soir

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Un petit village d’Andalousie, 1936. Higinio, partisan du camp républicain, se terre dans une cachette creusée dans les murs de sa maison lorsque l’équilibre des forces bascule en faveur des sympathisants phalangistes du coup d’État militaire orchestré par le général Franco. Chaque échéance envisagée par Higinio pour pouvoir sortir à nouveau lui est arrachée : ce ne sera ni la fin de la guerre civile (gagnée par Franco), ni la victoire des Alliés (qui ne renversent pas la dictature franquiste, pourtant associée aux régimes nazi et fasciste). Le pouvoir militaire s’inscrit dans la durée, au point qu’Higinio – comme les nombreux individus ayant réellement existé et ayant inspiré ce personnage de fiction – restera tapi dans l’ombre de sa maison et de sa vie pendant trente-trois ans, un tiers de siècle.

Le premier acte de Une vie secrète est particulièrement impressionnant. Sans round d’observation, nous prenons de plein fouet la terreur et l’urgence qui renversent soudain l’existence d’Higinio, lorsque les phalangistes prennent le contrôle de son village et éliminent froidement leurs ennemis républicains. Higinio avait déjà prévu le trou dans le mur où se cacher, mais il l’imaginait seulement comme une solution provisoire et il tente de prendre la fuite une fois les soldats passés par sa maison. La longue séquence de course poursuite mortelle qui s’en suit, à la fin tragiquement amère (un retour contraint dans le trou dans le mur, devenu l’unique lieu où espérer survivre), est puissamment menée et nous fait partager l’impuissance de l’homme transformé en proie. Puis les premiers temps de la vie en réclusion auto-imposée, et l’apprentissage des nouvelles règles qui la régissent, sont également de nature à marquer les esprits. Rosa, l’épouse d’Higinio, fait tampon entre ce dernier et le monde extérieur non seulement logistiquement mais aussi physiquement : c’est elle qui est exposée aux regards, aux soupçons, aux coups. Higinio, pour sa part, est poussé à devenir de plus en plus nettement un fantôme, plus proche du monde des morts que de celui des vivants – une évolution parachevée lorsque le cadavre d’un agresseur de Rosa, éliminé par le couple, est enterré sous la cache d’Higinio, dont l’abri devient littéralement un cimetière.

Cette période transitoire faite d’angoisse sourde et de danger permanent (deux sensations très bien rendues par la mise en scène, le traitement de la pénombre, des sons, du hors champ) laisse la place, une fois Higinio « mieux » installé – toutes proportions gardées –, à une phase plus machinale, après un dernier très beau mouvement, une ellipse sarcastique qui tue dans l’œuf les espoirs de vie nouvelle nourris par le personnage. La tension et l’intérêt chutent d’un cran, et le film se fait d’une certaine manière piéger à rester aux côtés de son protagoniste, dans le présent perpétuel de son absence au monde, et de l’entre-deux bancal qui en découle. De même qu’Higinio n’est ni vivant, ni mort, Une vie secrète ne creuse ni le sillon de la folie de la situation, ni celui de la distance émotionnelle et sensible de plus en plus grande entre l’individu à l’arrêt et la société qui avance.

Le film reste à la surface de toutes ces choses, et donc loin de tout vertige intellectuel ou de tout symbolisme puissant, en même temps qu’il redevient plus sage et plus plat formellement que dans son élan initial. C’est alors son sujet qui provoque seul les quelques beaux éclairs perçant ce faux rythme monotone, en forçant l’entrée d’éléments du dehors qui agissent comme autant d’appels d’air. Il y a la visite d’un militant de la génération suivante, qui vient discuter politique et engagement (enfin, alors que le film fait tout pour éviter ce thème par ailleurs), et apporter l’information qu’Higinio n’est qu’un parmi tant d’autres. Il y a le premier pas hors de sa maison (une fois qu’il a été ironiquement « libéré » par l’homme qu’il souhaitait voir vaincu, Franco, qui accorde en 1969 une amnistie générale aux combattants de la guerre civile), filmé comme le petit pas de géant de Neil Armstrong sur la Lune la même année. Il y a enfin la réapparition dans l’existence d’Higinio du voisin qui l’avait dénoncé en 1936, et qui découvre le subterfuge mis en place par son ennemi passé… et présent ; car la fin de la guerre, le passage du temps, l’amnistie, n’ont eu aucun effet sur la haine entre les deux hommes et les blessures qu’ils se sont infligées. Une vie secrète s’achève sur un plan glaçant qui entérine ce constat désespérant : il y a toujours deux Espagnes, séparées par un mur infranchissable. Un ultime thème à creuser, une boîte de Pandore à fouiller, que le film se contente d’entrouvrir. Sortie cinéma récente peignant un amour contrarié et impossible, ce film se placera-t-il parmi les meilleures histoires d’amour tristes ?

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