• Twixt, de Francis Ford Coppola (USA, 2011)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Jeudi soir, à 19h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Après L’homme sans âge et Tetro, Twixt est le troisième temps de la résurrection en solitaire de Francis Ford Coppola, qui a su profiter de la plus belle des manières de la lame de fond du numérique pour mettre fin à un silence de dix ans parti pour devenir définitif. L’homme sans âge était hésitant comme un nourrisson, Tetro tourbillonnant comme un enfant ; Twixt est indiscipliné et déconcertant comme un adolescent. Sur le principe, cela suffit déjà à en faire une œuvre enthousiasmante, quels que soient ses flottements et accrocs. Coppola vient d’avoir 73 ans et il crée comme s’il en avait vingt, sans filet ni stratégie. Avec Twixt il met d’autorité entre parenthèses 99% de la carrière qu’il a eue, les succès commerciaux comme les ambitions d’auteur émérite, pour repartir un demi-siècle en arrière, à son tout premier long-métrage, Dementia 13. Déjà une farce féroce et sanglante sous influence gothique, mais qui payait un lourd tribut à ses moyens lapidaires. Désormais le numérique, et sa possibilité d’une économie minimaliste et véloce, permet à Coppola d’apporter à un projet similaire par bien des aspects une exubérance et une profondeur toutes autres.

Twixt commence à mi-chemin entre un téléfilm pseudo-fantastique médiocre, adapté d’un roman pseudo-fantastique médiocre de supermarché, et un de ces épisodes auto-parodiques de X-Files. On pense en particulier au Shérif a les dents longues, pour ceux qui connaissent. Un auteur de seconde zone (ou plus bas encore) spécialisé dans les histoires de sorcières arrive dans une bourgade de campagne pour une séance de dédicace, et y reste quand il prend connaissance de plusieurs faits qui lui semblent à même de fournir la matière d’un nouveau roman. Du plus récent au plus ancien, le cadavre d’une jeune fille avec un pieu dans le cœur à la morgue locale, le meurtre il y a soixante ans de douze enfants orphelins par le pasteur dérangé qui les avait accueillis, et l’anecdote de la halte pour une nuit d’Edgar Allan Poe à l’hôtel du coin. Pris d’un accès de boulimie horrifique, Coppola ajoute à sa tambouille un beffroi aux sept cadrans d’horloge dont aucun ne donne la même heure (soit une idée tout à fait géniale), une bande de jeunes satanistes authentiques ou factices campant en bordure de la ville, des fantômes qui viennent converser avec les vivants. Comme le film a par ailleurs pour ambition d’aller vite et d’être concis (plié en moins d’une heure et demie, fait rarissime pour Coppola), pas grand-chose de tout cela ou des troubles personnels des protagonistes ne sera exploité décemment. Au contraire l’impression dominante est celle d’un traitement par-dessus la jambe tant pour la narration que l’aspect visuel, dans la continuation du ton fixé en ouverture.

Mais ce qui est vrai pour l’observation de la vilenie du monde réel et de ses occupants se dissipe quand Twixt bascule de l’autre côté du miroir, dans les songes faits par le héros. Qui, guidé selon les occasions par le fantôme de la jeune fille seule rescapée de la tuerie du pasteur ou par celui de Poe, vit les mêmes choses que lorsqu’il est éveillé – enquête sur les incidents divers de la ville, quête d’inspiration pour son livre, poids d’un terrible trauma intime passé – mais avec une acuité et une vérité incomparables. Coppola s’éveille et se révèle à la faveur de ces rêveries découlant directement d’un rêve que lui-même a eu. Sa mise en scène devient soudain inspirée, exaltée, débordante d’audace. Usant de techniques pointues, elle procède à l’assemblage instinctif de toute une variété de richesses provenant du cinéma fantastique primitif, ainsi que d’autres formes d’art onirique de la même période. Les artifices sont assumés, et de là transcendés. Des effets de lumière construits autour de teintes vaporeuses envoûtantes, et de couleurs primaires venant les transpercer, composent d’incroyables nuits américaines. Des collages de plans, d’univers, de légendes, renvoient au surréalisme et en retrouvent la conviction et la force évocatrice qui l’accompagne. Et il y a le patronage de Poe, représentant emblématique d’une littérature à la jonction des mondes gothique et romantique dont Coppola fait bien plus qu’un gadget ; mais un guide éclairé pour cette traversée des ténèbres, par sa présence « physique » autant que par les renvois habiles à certains de ses écrits ou à des motifs fondamentaux de son univers.

Tous ces éléments (auxquels il faut associer la musique de Dan Deacon et Osvaldo Golijov, et sa montée en puissance impressionnante) font des séquences fantasmées de Twixt des instants d’une grande beauté, qui trouve encore à s’affermir à mesure que le film avance vers le dévoilement et la résolution de tous les drames qu’il recèle. Le climax de cette part du récit, que Coppola fait reboucler sur sa propre histoire (la mort accidentelle de son fils, après avoir déjà construit Tetro autour d’une autre blessure intime, impliquant son père), est bouleversant émotionnellement et esthétiquement. Le contraste avec la deuxième conclusion, celle des événements réels, n’en est que plus brutal. La pirouette gonflée dont se fend le cinéaste pour mettre fin à la blague achève de précipiter celle-ci dans une médiocrité certes assumée dès le départ, mais qui finit par être trop appuyée à mon goût. A force d’en faire des tonnes pour opposer la fluidité, la pureté et la force du rêve à la laideur hachée et vaine de la réalité, Coppola est au bord d’engloutir le premier sous la masse de la seconde. Mais cet attelage des contraires, du romantisme déchirant et de la trivialité vulgaire, fonctionne, et passionne précisément car il est précipité, déroutant, impur.

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