• Traffic, de Steven Soderbergh (USA, 2000)

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Où ?

A la maison, en DVD

Quand ?

Jeudi soir

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Je m’étais lancé dans le revisionnage de Traffic, dans mon souvenir l’un des meilleurs Soderbergh, suite à la déception Contagion, afin de refaire l’expérience du talent du cinéaste appliqué au suspense choral. Dans les faits, c’est le contraire qui s’est produit et Contagion qui a infecté – c’est le cas de le dire – Traffic, où des abus et errements communs avec le dernier long-métrage de Soderbergh à ce jour m’apparaissent désormais. Sous une forme émoussée, tout de même, et insuffisamment virulente pour me faire renier Traffic aussi nettement que je l’ai encensé. Ce film reste un indéniable modèle d’efficacité et de virtuosité dans son traitement d’un sujet foisonnant, embrassé dans toute sa complexité. Observant à la fois les individus et le système, les décisions et les actions, les cerveaux et les pions – et tous les maillons de la chaîne qui va des premiers aux seconds –, Traffic s’acquitte haut la main de son premier défi : conserver sur deux heures et demie une richesse narrative et humaine comparable à celle que peut créer une série en plusieurs épisodes, deux fois plus longue. Cette série, c’est Traffik avec un ‘k’, fiction anglaise alors vieille de plus de dix ans (1989), dont Traffic (avec un ‘c’) est l’adaptation à l’Amérique, passant du trafic de drogue depuis le Moyen-Orient vers l’Europe à celui enjambant la frontière entre les USA et le Mexique.

Soderbergh et son scénariste Stephen Gaghan (qui écrira et réalisera par la suite le brillant Syriana – on peut donc lui accorder une bonne part du crédit du succès de Traffic) exposent côte à côte sur la même toile trois systèmes solaires de la galaxie d’un trafic de drogue. Un très gros, mais assurément pas le seul, certitude qui rendra la fin plus accablante encore. Au Mexique, la source de l’approvisionnement. Juste de l’autre côté de la frontière, à San Diego, la structure intermédiaire qui chapeaute l’arrosage du territoire américain. Enfin, parcourant ce territoire, le directeur nouvellement nommé de l’agence américaine de lutte contre le trafic de drogue. [En aparté, Traffic a d’ailleurs désormais valeur de témoignage d’une époque révolue, d’avant le 11 septembre 2001, quand cette lutte là était en haut de la liste à la place de celle contre le terrorisme]. Aucun de ces trois espaces n’est pur, acquis tout entier à la cause de l’un ou l’autre des belligérants qui pourrait ainsi en faire un havre préservé. Les trafiquants ont les policiers à leurs trousses où qu’ils aillent et quoi qu’ils fassent. Les dirigeants anti-drogue ne sont pas à l’abri d’avoir dans leur entourage des victimes d’addiction à des degrés plus ou moins aigus. La force essentielle de Traffic vient de cette décision de faire de son univers tout entier une immense zone grise morale, où rien n’est garanti ; au contraire chaque conquête, chaque règlement se fait de manière imparfaite, au prix de compromis, de trahisons, de dommages collatéraux. C’est aussi un point de distinction franche avec Contagion. Dans Traffic les problèmes comme les solutions sont à hauteur d’homme, ce qui rend les choses plus saillantes et dramatiques que dans Contagion où la présence de principes supérieurs – un virus tueur et généralisé, l’exigence de survie de l’espèce – a tendance à aplanir tout le reste, à transformer dilemmes et antagonismes individuels en points de détails.

Traffic n’est tout de même pas parfait sur cet aspect des choses. Si le propos qu’il porte est juste (à la croyance illusoire en la capacité à tout contrôler et à imposer ses vues, préférer l’humilité de viser des inflexions plus réduites mais réalisables), la solennité avec laquelle il nous l’assène se fait par moments pesante. Gaghan et Soderbergh sont prompts à endosser le costume de donneurs de leçons, réduisant le spectateur au rang d’élève passif qui est là pour ingurgiter le cours magistral et pas vraiment pour réfléchir. Un peu de subtilité aurait été le bienvenu, remarque qui vaut également pour la mise en scène. Soderbergh est un réalisateur brillant, cela ne fait aucun doute mais l’ardeur qu’il met parfois à l’exhiber est contreproductive. Comme ces comédiens qui ne rechignent pas à surjouer, surtout quand il y a un potentiel Oscar à la clé, Soderbergh se laisse de temps à autre aller à « sur-réaliser ». Traffic en est un bel exemple (qui a d’ailleurs rapporté à son metteur en scène un Oscar, preuve de l’efficacité de la méthode). Avec le recul, l’usage des filtres de couleur pour distinguer les récits menés en parallèle me paraît franchement excessif dans son exécution. Le même manque de retenue se ressent dans la dernière ligne droite, quand l’adresse de Soderbergh à manipuler les différentes techniques de narration par l’image se met à se faire remarquer pour elle-même plus que pour ce qu’elle apporte au film. Jusqu’à un certain point dans celui-ci, on est épaté et emballé par le montage fluide, par la mise en scène qui colle aux corps, par l’alternance rendue évidente entre moments de décisions (des scènes de dialogues statiques) et de leur concrétisation en actions (des séquences très découpées, rapides et souvent muettes car tout a été alors déjà été décidé). Puis la magie perd de son éclat à force d’être trop exposée. Parti pour être un chef-d’œuvre, Traffic est trop mis au service de ceux qui le font – alors que ce devrait être l’inverse – pour ne pas finir relégué d’un cran, au rayon des très bons films.

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