• Tomboy, de Céline Sciamma (France, 2011)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Mercredi soir, à 18h30, en ouverture de mon triathlon Kaboom, Tomboy-La fille du puisatier-L’étrangère

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Céline Sciamma est apparue sur la scène cinématographique en 2007, avec le remarqué Naissance des pieuvres montré à Cannes et récompensé du prix Louis-Delluc du premier film. Cet accueil favorable rend d’autant plus inhabituellement long le laps de quatre ans écoulé avant de passer le cap du deuxième long-métrage. Sciamma a simplement attendu avec sagesse qu’un sujet suffisamment fort se présente et vaille la peine d’en faire un film. C’est la marque d’une artiste intègre, investie, qui se tient à bonne distance de deux tentations – galvauder son savoir-faire en tournant n’importe quoi mais vite, et sacrifier sa liberté en cédant aux sirènes et aux largesses matérielles du cinéma marchand, de notables établis1. Tomboy est sur ce point une victoire, consistant moins en un deuxième film qu’en un deuxième premier film. On y retrouve le même élan fait de spontanéité et de mordant, aux côtés d’autres traits qui étaient déjà saillants dans Naissance des pieuvres et qui semblent donc en passe de définir la patte de la réalisatrice, le moteur de son cinéma. Tomboy est à nouveau un récit – puissant – de fabrication d’une identité ; et c’est à nouveau un film qui fusionne avec son protagoniste central.

A ce stade, on peut soulever l’unique réserve générée par cette manière de voir et de faire : le revers de la médaille de concentrer ainsi ses attentions sur un nombre restreint de personnages – un dans Tomboy, trois dans Naissance des pieuvres – est de rejeter tous les autres dans l’évanescence, un certain effacement. Dans Tomboy, il y a clairement Laure, qui se fait passer pour un garçon auprès des nouveaux amis qu’elle rencontre suite à un déménagement, et les autres. La première porte en elle l’intégralité des enjeux, des drames, du suspense et des bifurcations du film. Les seconds ne sont que des façades sur lesquelles se reflètent les buts que Laura y projette. La bande de copains est un groupe au sein duquel s’intégrer, la jeune fille amoureuse (Lisa) est un être à séduire, la petite sœur (Jeanne) une charge à supporter ou dont il faut se défaire selon les circonstances. La courte séquence où cette dernière est extraite de son emploi – répétitif à la longue – de sidekick comique pour devenir complice de la mystification de Laura est l’exception à cette règle. C’est aussi une belle respiration, grâce à l’idée que Jeanne redouble les mensonges de Laure par ses propres fantaisies de ce que ce serait d’avoir un grand frère. Tomboy ne parle alors plus d’une seule voix mais devient polyphonique, et cela aurait mérité d’être développé avec la même intensité que tout ce qui touche à Laure.

Car le personnage de Laure / Michael est écrit et filmé avec une finesse remarquable, dans chaque détail comme dans le parcours tracé par ces petits cailloux. On ressent et on comprend profondément que pour elle, l’altération de son genre sexuel n’a rien d’un jeu d’enfant et tout d’une impérieuse nécessité. Le fait de se voir en garçon et de vouloir être vue comme tel est un constituant fondamental de son édifice identitaire, qui trouve ses racines avant même le début du film (la couleur de la chambre, la tenue vestimentaire) et poursuit sa croissance une fois effectué le changement de prénom – l’exhibition du corps, l’adoption de comportements sociaux tels que jouer au foot ou se battre. Sciamma dépasse largement l’horizon de la description, clinique, didactique ou racoleuse, du phénomène. Elle l’anime, le rend vivant, véritable. On est saisi par le mélange d’aplomb et d’inconscience (face à l’épée de Damoclès de la reprise prochaine de l’année scolaire), de force et de fébrilité de Laure / Michael. C’est un superbe personnage de fiction, qui incarne un drame cruel lié au passage à l’âge adulte. Ce dernier ne s’accompagne pas de l’accession à une émancipation complète, comme on le fait miroiter aux enfants – le début de Tomboy est parsemé de tels moments, où les parents de Laure / Michael lui remettent un jeu de clés de l’appartement, lui proposent de goûter à la bière, lui donnent toute latitude pour organiser ses journées de vacances d’été… En réalité, devenir adulte signifie passer d’une cage manifeste et stricte (l’autorité parentale) à une autre cage, plus chatoyante et plus hypocrite. Ses barreaux invisibles sont les normes collectives auxquelles il est enjoint d’obéir.

1 l’interview donnée par la réalisatrice à Libération est très éclairante sur la voie qu’elle souhaite emprunter dans sa pratique du cinéma

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