• The wrestler, de Darren Aronofsky (USA, 2008)

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Où ?

A l’UGC Normandie

Quand ?

Mardi soir

Avec qui ?

Un pote de prépa perdu de vue, et retrouvé par hasard il y a deux mois… dans la queue d’un cinéma

Et alors ?

Le mélange de grandeur et de ridicule du catch a donné matière à au moins un grand film à Hollywood : Nacho libre avec Jack Black, passé complètement inaperçu en France. La
rencontre avec un autre mélange de grandeur et de ridicule, en la présence de Mickey Rourke, et la quête d’un Oscar presque victorieuse de ce dernier (doublé au finish par Sean Penn pour sa
performance dans Milk, après avoir tout de même
remporté le Golden Globe) ont offert à The wrestler une visibilité toute autre ; tant mieux, car il s’agit là d’un deuxième grand film prenant pour sujet ce spectacle aussi
moqué ici qu’apprécié de l’autre côté de l’Atlantique.


Pour ce qui est du ridicule du catch, il n’est donc pas nécessaire de s’attarder plus longtemps qu’avec les trois mots suivants : collants moulants fluo. La grandeur de la chose s’exprime au
travers d’un motif omniprésent dans The wrestler : celui du martyr, aux résonances christiques. La scénarisation au préalable des affrontements – qui donne de superbes scènes
en aparté, où le choix des coups échangés se fait de manière presque honteuse, à mi-voix à l’ombre d’un casier de vestiaire – est en effet à double tranchant, protégeant certes de l’imprévu mais
légitimant les pires brutalités physiques, dont les combattants ont accepté d’assumer la douleur et les stigmates. Le réalisateur Darren Aronofsky est dès lors entièrement dans le vrai à chaque
fois qu’il décide d’insister visuellement sur cet étalage de violence bestiale, en cadrant plein champ les jetés de chaises sur le crâne, bris de verre dans le dos et autres coups de pistolet à
agrafes. C’est ce sacrifice de soi jusque dans sa chair qui fait que, de week-end en week-end et de gymnase en salle municipale, le chemin de croix des catcheurs tutoie la plus haute noblesse.


Celle-ci est sans cesse contrebalancée par une détresse colossale, aux multiples déclinaisons. Tous les signes de l’humilité, du dévouement et du culte chrétien sont détournés, voire niés au fil
du scénario. La misère dans laquelle vit Randy, le héros (une caravane louée, qu’il ne peut parfois même pas se payer), les moqueries qu’il doit subir de la part de la majorité autoproclamée
bien-pensante, sa relation platonique avec sa Marie-Madeleine, une strip-teaseuse mère célibataire (la craquante et toujours excellente Marisa Tomei) qui est son seul lien affectif avec le monde
extérieur, tout cela est présent, développé mais ne mène qu’à une impasse ; les « disciples » / spectateurs de Randy ne souhaitant aucunement être éclairés, mais simplement divertis le
temps de quelques dizaines de minutes. Face à cette fin de non-recevoir, il ne peut donc être question d’un quelconque récit messianique ou d’une larmoyante rédemption. Sur un mode mineur et
intimiste, The wrestler entonne la même chanson que le titanesque There will be blood l’année dernière : la lutte originelle entre religion et capitalisme pour le contrôle
de l’Amérique a tourné en faveur du second. Comme l’avait aussi été le précédent grand film d’Aronofsky, Requiem for a dream, The wrestler est un portrait par le
petit bout de la lorgnette de cette Amérique-là, celle des perdants abandonnés au bord de la route pour qu’ils se bouffent entre eux. Dans le rôle-titre, Mickey Rourke est parfait car il porte
sur ses épaules et dans son regard le poids d’une telle déchéance qu’il a lui-même vécue. Son histoire personnelle le dispenses du besoin de jouer ; il lui suffit d’être là, devant la caméra,
pour émouvoir et transcender le film.


Plus que sa renaissance après le lourdingue et bancal The fountain, ce qui impressionne est l’aisance avec laquelle le cinéaste a adapté sa mise en scène au déplacement
géographique du récit entre ses deux photographies de son pays. Requiem for a dream était balloté au gré des vagues du double raz-de-marée émotionnel permanent créé par la drogue
que consomment les personnages et par la ville-monde de New York dans laquelle ils vivent. Le résultat à l’écran était à l’avenant, débordant de bruit et de fureur, saturé en images de toutes
formes. The wrestler ne fait que traverser l’Hudson direction l’état du New Jersey, mais ce qu’il y trouve – anonymat des villes-dortoirs, routine assommante des existences – fait
qu’il pourrait se dérouler n’importe où dans l’immensité rurale des USA. La caméra d’Aronofksy s’accorde à merveille à cette banalité, se retrouvant même par moments au bord de l’effacement
tellement elle est dépourvue d’effets et de velléité de beauté. La première heure du film tient du documentaire, jusqu’à une scène silencieusement poignante de dédicace d’anciens champions à
laquelle Randy voit le destin qui l’attend au travers des corps meurtris des autres participants – là une poche urinaire, ici une prothèse.


La tentative de Randy d’échapper à cette fatalité occupe la seconde moitié de The wrestler. Le tournant mélodramatique qui s’en suit s’accompagne de quelques cahots
scénaristiques, mais convainc rapidement par sa profondeur et sa justesse de ton. Symboliquement, Randy reprend alors son vrai nom d’immigré polonais facilement identifiable (comme Walt dans
Gran Torino, avec qui il partage aussi un même
tourment quant à son héritage). Il passe d’idole à souffre-douleur en travaillant au rayon traiteur du supermarché local ; se heurte à un mur lorsqu’il tente de renouer contact avec sa fille dans
une intrigue secondaire laconique qui joue à merveille du non-dit comme sur l’homosexualité du personnage féminin, dont le traitement prouve toute la qualité d’écriture du film. La violence de
ces blessures intimes et invisibles est autrement plus dure à supporter que celle des coups reçus en surface sur le ring. Cette escapade éphémère et dépouillée dans le mélo fonctionne comme un
élastique: tendue à l’extrême par le scénario et la mise en scène, elle ne peut que revenir violemment à la face du personnage principal. Et le renvoyer dans les cordes, au figuré comme au propre
– incapable de faire face à l’imprévisibilité du monde extérieur, Randy retourne vivre dans les replis de sa légende, s’offrant corps et âme à ce public qui ne lui donne rien en retour. Aronofksy
fait alors pour la première fois œuvre de cinéma, dans l’ultime plan de The wrestler. Il capte en contre-plongée la prise qui a rendu Randy célèbre, son « Coup du
Bélier », dans toute sa grandeur et sa tragédie (qui a remplacé le ridicule). Par ce geste, le cinéaste se fait apôtre de son héros et lui donne les fidèles qu’il mérite : nous, les
spectateurs.

Une réponse à “The wrestler, de Darren Aronofsky (USA, 2008)”

  1. [...] Celui qui raconte des histoires de personnages tentant de survivre (Pi, Requiem for a dream, The wrestler), et celui qui s’attache à des individus occupés à traquer l’absolu : The fountain, Black [...]