• The king of New York, de Abel Ferrara (USA-Italie, 1990)

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Où ?

A la maison, en DVD édité par Carlotta avec un nouveau master restauré en HD pour le film, et obtenu via Cinetrafic dans le cadre de leur opération « DVDtrafic »

Quand ?

Mercredi soir

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Même s’il n’est âgé que d’une petite vingtaine d’années, The king of New York n’a presque plus rien de contemporain. La période dont il traite appartient au passé de la ville – ainsi peut-être qu’à son avenir, car les crises qui s’abattent en ce moment sur les pays développés pourraient finir par faire ressurgir ces démons plus en sommeil que terrassés pour de bon. Le New York du film de Ferrara est celui d’avant l’assainissement des années 1990, ce ravalement de façade mené au pas de charge par le maire Giuliani pour rendre à la ville son attrait auprès des franges aisées de la population. Comme dans Le bûcher des vanités tourné par De Palma au même moment, c’est une cité décadente, toute en excès et en éclats. Les plaies du crime organisé, de la drogue, des détestations raciales y suppurent à vif. Les inégalités y ont atteint une ampleur astronomique, entre les ultra-riches d’une part et les sous-prolétaires de l’autre (et plus la moindre âme qui vive entre les deux). La séparation entre les deux classes est énoncée radicalement par la géographie que donnent à voir les premières scènes du film – Manhattan fait figure de camp retranché où l’on s’ébat dans un luxe infini, tandis que dans les zones périphériques, Brooklyn, le Bronx, la misère s’étale jusque dans la rue.

La situation est si extrême que Ferrara, autant que De Palma, n’a d’autre solution que de s’en remettre à l’allégorie exagérée pour décrire un tel univers. Là où les deux cinéastes se séparent, c’est quand chacun s’en remet à sa sensibilité propre pour créer sa fiction. De Palma part dans la parodie grotesque, Ferrara opte pour le cauchemar (a)moral. Chez le premier, la clé donnée au spectateur pour saisir que tout cela est déréalisé est la caractérisation à gros traits des personnages, convertis en caricatures de leur position sociale. Ferrara passe quant à lui par l’image, qu’il retouche par une multitude de filtres et autres effets jusqu’à lui ôter tout réalisme. L’esthétique de The king of New York relève d’un impressionnisme magnifiquement infernal, soutenu par l’importance donnée aux effets sonores émis rugis par la ville (métro, sirènes de police, etc.) qui achèvent de nous emprisonner dans ce cadre effroyable. Sur le plan humain, dans la vision de Ferrara le monde qu’il décrit s’est tellement laissé courber éthiquement qu’il a basculé, et se retrouve complètement inversé dans ses valeurs. Les mauvais ont pris la place des hommes de bien, car ils ont l’argent et l’aplomb – deux choses qu’ils doivent à leur position de donneurs de mort, indirectement (le trafic de drogue) et directement (les règlements de compte).

La première moitié de The king of New York procède ainsi par montage alterné entre les deux vies de son héros Frank White / Christopher Walken, en public auprès des plus riches – les palaces, les réceptions, les boîtes de nuit et restaurants de prestige – et loin des regards parmi les plus pauvres, où il mène l’assaut en première ligne de son armée de gros bras camés à la gâchette facile. La suite ne donnera pas une meilleure image de la société des hommes. Excédés par la réussite et l’immunité de Frank, les flics qui enquêtent sur lui choisissent eux aussi de franchir la ligne jaune morale. Ils abandonnent les opérations légales de police, pour une variante sauvage de guerre de gangs, où il n’est pas question de faire de prisonniers. Ferrara met tout son talent et sa poigne à orchestrer ce déversement de violence dans les rues de New York – ainsi qu’il le dit dans le très intéressant entretien proposé dans les bonus du DVD, son ambition sur ce film était en partie de coller en surface aux attentes du public qu’il avait vu faire un triomphe à Terminator. Sans faille dans son rythme, inspiré et furieux dans ses scènes de fusillades, The king of New York peut de plus compter sur une excellente bande-son hip-hop et un casting de seconds couteaux aujourd’hui stars mais qui avaient alors envie de tout bouffer – Laurence Fishburne, David Caruso, Wesley Snipes ; et encore, dans de plus petits rôles, Steve Buscemi, Theresa Randle, Giancarlo Esposito (Breaking bad).

Mais il n’est pas pour autant question pour Ferrara de faire l’impasse sur un propos ambitieux et intelligent. Le destin de Frank est l’occasion pour lui de pousser très loin l’idée du renversement des valeurs. Avec son scénariste Nicholas St-John, il hisse Frank sur les différents échelons de la condition d’homme providentiel, qui lui est assurément accessible : dans un monde sens dessus dessous, être le plus fort des truands fait de lui le meilleur des candidats. C’est avec le plus grand sérieux, quand bien même ses interlocuteurs croient à un trait d’humour, que Frank affirme au début du film vouloir devenir maire de la ville. Il initie en ce sens, de son propre chef, une politique de redistribution de ses ressources en se portant volontaire pour financer la rénovation d’un hôpital public. La réussite médiatique de ce geste, qui lui ouvre les portes du grand monde, fera dire amèrement à un des policiers qu’il est devenu « king of New York », roi plutôt que maire puisque proclamé au lieu d’élu. Ce n’est encore là qu’une étape, à partir de laquelle la vie de Frank ira, sur la fin du film, jusqu’à prendre un tour quasi messianique. La force de The king of New York vient de ce que son réalisateur garde toujours ses distances vis-à-vis de cette ascension. Il l’observe sans convoitise ni subordination, car à ses yeux Frank ne devient jamais plus qu’un produit de son environnement par lequel il vit et meurt ; un exemple édifiant d’une décadence générale.

Certainement car il est symbolique d’une époque de sa carrière révolue, quand il acceptait de se plier aux règles du jeu hollywoodien alors qu’il œuvre désormais de manière radicalement marginale et solitaire, Ferrara semble aujourd’hui renier le film (ce qui contribue à rendre passionnante son interview sur le DVD). Absolument rien ne nous oblige à en faire de même.

The King of New York, édité en Blu-Ray et DVD par Carlotta

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