• The color wheel, de Alex Ross Perry (USA, 2011)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

Au MK2 Beaubourg

Quand ?

Mercredi soir, à 22h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Ces dernières années, le cinéma indépendant américain est devenu un marché aussi porteur et segmenté que son équivalent hollywoodien – et il est devenu bien difficile de ne pas trouver dans son catalogue quelque chose à même d’intéresser chacun d’entre nous. Ainsi en ce qui me concerne, après avoir fait l’impasse sur les productions tendant vers le « southern gothic » de juillet (Summertime, A little closer), je me suis senti autrement plus attiré par The color wheel. Ses marginaux appartiennent à une autre famille, bien identifiée elle aussi : celle des intellos de la côte Est du pays, au cursus scolaire d’une durée proportionnelle à la profusion de leurs angoisses existentielles. Colin et J.R. sont frère et sœur, et par conséquent se détestent et se connaissent mutuellement mieux que n’importe qui d’autre le pourrait. Lui est le chaînon manquant entre Michael Cera et Woody Allen (à tous points de vue : âge, manque de confiance en soi, timbre de voix et gestuelle), elle reproduit le modèle du personnage aux ambitions trop hautes pour être atteintes, teinté d’une dose d’ironie ; l’ambition en question consiste à devenir présentatrice de journal tv, ce qui peut être vu comme illustre ou sans valeur.

Le scénario, écrit par les interprètes des deux rôles, adopte la forme d’un road-movie afin d’alterner des moments où Colin et J.R. sont seuls dans leur bulle, et d’autres où la réalité extérieure s’impose à eux. Ce balancement se double d’un autre, dans le rapport du film à ses héros. Il ne prend jamais parti pour ou contre eux, et les présente comme étant tour à tour attachants ou repoussants, drôles ou désagréables. Au contraire d’un road-movie ordinaire, qui fonctionne par l’exécution de variations sur un canevas constant, ici les cartes de caractère et de péripéties sont rebattues intégralement à l’orée de chaque scène. La première conséquence de cela est que les séquences sont inégales, certaines d’entre elles ne décollant pas, par paresse ou faute de trouver la clé débloquant le (mauvais) génie de la situation. La seconde conséquence est que les scènes réussies le sont superbement. Dans ces moments, l’alchimie entre les premiers et les seconds rôles, entre les rancœurs envers autrui et le dégoût de soi, l’embarras et l’arrogance, enfante un drôle d’humour, à la fois savoureux et inconfortable. Savoureux par l’entremise du grand sens du comique de cinéma – que ce soit par les mots, les corps, le montage – que démontre Alex Ross Perry, réalisateur en plus de scénariste et acteur. Inconfortable car refusant lui-même tout confort, en choisissant d’avancer sans filet au-dessus du vide des sentiments mis à nu.

Ce rire amer atteint son paroxysme dans une asphyxiante soirée de réunion d’anciens élèves, où Colin et J.R. se retrouvent sans trop le vouloir. Perry commence par tirer le fil, attendu, de la confrontation « us vs. them », puis emmène la scène bien plus loin qu’on pouvait l’anticiper, dans un cul-de-sac engloutissant les espérances et les mérites de tous les invités, sans exception, quelle que soit leur position dans l’échelle sociale du groupe. De ce nivellement par ce qu’il y a de plus bas, le vitriol le plus pur, ne peut émerger qu’une scène aussi extrême que celle qui vient conclure The color wheel. Sans en divulguer la teneur, elle est tout à fait juste dans sa captation de l’ébranlement d’un tabou parmi les plus marqués – mais perdant tout pouvoir contraignant dès lors que c’est le système de valeurs dans son ensemble qui ne vaut plus rien, qu’il s’est effondré en abandonnant Colin et J.R. à un état d’impunité absolue. Ce que l’on peut en revanche reprocher au film est de s’interrompre au plus fort de son élan ; de ne pas poursuivre après cette énorme transgression, qui aurait pu (dû) être son tremplin pour pousser encore plus loin la pratique de la liberté. Le brutal clap de fin nous laisse en plan, frustrés, dans la droite ligne d’un film qui souffle le chaud et le froid.

Laisser un commentaire