• Nouveau départ, de Cameron Crowe (USA, 2011)

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Où ?

A l’UGC George V, dans la grande salle

Quand ?

Samedi soir, à 21h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

On était sans nouvelles de Cameron Crowe depuis 2005, et donc pas mal inquiets car la dernière communication de sa part qui nous était alors parvenue, Rencontres à Elizabethtown, témoignait d’une inspiration à bout de souffle. Ce qui faisait particulièrement peine à voir de la part du réalisateur des merveilleux Presque célèbre et Vanilla sky, et plus le silence qui a suivi se prolongeait et plus il paraissait falloir se résoudre à ce que cette panne de choses à raconter soit définitive. Espérons donc que le titre français de ce nouveau long-métrage, Nouveau départ, s’applique autant aux vies de ses personnages qu’à la carrière de son auteur. Ce serait bien la seule qualité de ce choix de remplacement, laid et passe-partout, au titre original We bought a zoo qui dit tout ce qu’il y a à dire sur le synopsis du film.

Veuf depuis peu et père de deux enfants, désireux de changer de cadre de vie pour s’éloigner des lieux chargés de souvenirs devenus douloureux, Benjamin (Matt Damon) achète donc un zoo, sans la moindre expérience dans le domaine. Un zoo laissé à l’abandon et qu’il lui faut retaper pour pouvoir le rouvrir à nouveau et en faire un gagne-pain suffisant, tout en se faisant accepter par le personnel du lieu, et en remettant sa vie de famille sur les rails. We bought a zoo ne raconte rien de plus. On peut même dire qu’il en raconte moins, car Crowe tient d’un bout à l’autre son récit à l’écart des rails de la dramatisation ordinaire. Les obstacles se présentant au devant des personnages ne sont jamais source d’un storytelling élaboré. Le film s’en tient à deux manières de les traiter : soit en évacuant carrément le suspense quant à leur surpassement, soit en le réduisant à une envergure si limitée qu’elle en devient anecdotique. Les difficultés glissent sur l’entreprise des personnages, leur énonciation et leur résolution se suivant à chaque fois dans un même mouvement fluide.

Cela donne pendant la majeure partie du film l’impression que celui-ci est trop simple, trop petit, trop tranquille. Mais jamais rebutant ou insignifiant pour autant, car porté par de beaux talents. Celui de ses deux acteurs stars, Matt Damon et Scarlett Johansson, qui rayonnent au milieu d’un casting pourtant florissant (Thomas Haden Church, Elle Fanning, plus tous les autres moins connus). Lui est film après film de plus en plus à son aise dans ses habits d’héritier de James Stewart, en homme bon, intelligent et charismatique, un idéal de Monsieur tout-le-monde. Elle trouve ici son rôle le plus consistant et réel depuis Lost in translation, une femme qui existe et qui le fait de manière autonome, sans être dépendante du protagoniste mâle dont elle est de toute façon l’égale. C’est si rare. Enfin, il y a le talent de Crowe, d’avoir écrit de tels personnages et puis de les filmer avec la tendresse qui le caractérise. Il n’a jamais été et ne sera jamais un génie du cadre ou un créateur formel visionnaire, mais il a dans son jeu cette carte précieuse de l’empathie sincère, non simulée ou fabriquée. Elle lui permet de nous surprendre à plusieurs reprises, lors de séquences que son premier degré complet et désarmant fait sonner juste quand bien même on a pris l’habitude de les considérer comme le résultat grossier de piètres recettes à l’eau de rose. On voit alors distinctement le vide artistique s’ouvrir sous ses pieds, mais jamais il n’y tombe ; par exemple dans ses montages de plans à la lumière léchée sur fond de ritournelle pop-folk, esthétique dévoyée par la pub et que Crowe sort de cette ornière pour lui redonner une authenticité (alors qu’un Fincher s’y noyait dans L’étrange histoire de Benjamin Button).

Le bouleversement émotionnel qui nous saisit quand arrive le dernier quart d’heure se nourrit de tout ce délicat travail préalable, à la grandeur alors imperceptible. We bought a zoo renverse en deux temps l’idée fausse que l’on se faisait de son effacement et de sa modicité. Premier temps, l’aboutissement de la refondation du zoo, attendu et pourtant pleinement émouvant. Crowe fait se rejoindre dans cette séquence toutes les histoires et toutes les relations intimes, sans rien renier des principes qui ont guidé sa mise en scène jusque là, c’est-à-dire sans artifices et avec une admirable finesse de trait. Il apporte à chaque micro-événement de ce tableau de grandes dimensions juste ce qu’il faut d’importance et de détails pour l’animer et nous remuer sans pour autant affaiblir l’humanité et l’harmonie de l’ensemble. Crowe ne s’était encore jamais hissé si près de l’art raffiné de celui qu’il voit comme un maître, Billy Wilder, que pour ce film. Ses précédents longs-métrages jouaient sur d’autres qualités, plus personnelles, tandis que We bought a zoo reprend à son compte la formule prisée par Wilder d’une narration à maturation lente, où il s’agit de laisser le temps aux choses d’arriver et aux gens de changer à leur rythme naturel. Le travail du cinéaste consistant alors essentiellement à arranger de la plus belle des manières la rencontre de tous les éléments disséminés dans son film, en jouant sur le retardement de ce qui est prévisible et sur le surgissement de ce qui ne l’est pas.

Crowe applique remarquablement la leçon, et y ajoute une distinction supplémentaire avec son épilogue, pour le coup tout à fait inattendu. Le traitement du deuil vécu par le héros était jusque là exemplaire, sans pathos débordant ni affliction complaisante, toujours sensible mais jamais écrasant ; un élément parmi les autres. A la dernière minute, Crowe se décide à le placer au cœur d’une scène, et celle-ci est merveilleuse. Elle ouvre en grand le champ du film, jusque là concentré sur le présent et qui soudain se tourne vers le passé (le souvenir de la disparue), pour en tirer de quoi fonder un avenir meilleur – la famille soudée, l’adoption de la ligne de conduite hardie qui était celle de la mère face aux défis qui se présentent. Là encore, tout ceci se tient à la frontière des pires clichés de la fable de l’Amérique pionnière, méritante, bienheureuse. Mais la magie de l’écriture (le rappel de la réplique « Why not ? »), de la mise en scène (une miraculeuse apparition le temps d’un plan de coupe) et de la candeur de Crowe fait que ça marche. We bought a zoo n’a alors plus rien de dérisoire, il se révèle comme une perle précieuse et généreuse.

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