• Nonfilm, de Quentin Dupieux (France, 2002)

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Où ?

A la maison, en DVD inclus comme bonus de l’édition Blu-Ray de Rubber

Quand ?

Mardi soir

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

La meilleure introduction possible à Nonfilm se trouve dans le livret papier qui accompagne le Blu-Ray de Rubber1, au sein de la biographie succincte et biaisée de Quentin Dupieux. « Il [Dupieux] cherche un moyen de dépenser son argent et décide de produire et réaliser un moyen-métrage absurde ». Nonfilm dure trois quarts d’heure, et a un pied dans la private joke inepte et l’autre dans le génie s’exprimant à l’état brut, affranchi. Démonstration avec l’ouverture du film. Le premier plan est un décalque de celui du Mépris de Godard (rien de moins) : une caméra observe une autre caméra, déplacée par une équipe de tournage sur des rails de travelling pour suivre un acteur. Sauf que l’acteur en question n’a pas conscience qu’il en est un, et qu’il continue son chemin au-delà de ce que le film dans Nonfilm attend de lui ; un assistant se précipite alors pour le stopper, en l’assommant avec une pierre ramassée par terre et jetée à sa tête.

Ce qui suit pousse jusqu’au vertige le plus ahurissant la confusion qui existe naturellement entre le cinéma et la réalité. Pour nous perdre, Dupieux joue de toutes les configurations imaginables de situations liées au tournage d’un film dans le film – scène que l’on pensait réelle et qui était en réalité jouée pour une caméra, acteurs qui récitent un texte puis s’interrompent brusquement (ou l’inverse), positionnement sur un pied d’égalité des événements qui se produisent devant et derrière la caméra… Sa mise en scène borderline accentue très habilement le sentiment de précarité en ne nous donnant aucune prise, aucune indication. Il est impossible d’y trouver le moindre gage d’appartenance à un style de filmage quel qu’il soit, documentaire, satire, suspense. Dupieux réussit la gageure de s’affranchir de toutes les règles préexistantes, et de n’en écrire qu’une seule sur la page blanche dont il repart : caméra portée, à hauteur du nombril, et donc en constante contre-plongée pour saisir les visages des acteurs dans le cadre. Sans ce choix de point de vue évidemment tout à fait déstabilisant – et même aberrant – pour le soutenir, le refus à l’œuvre dans Nonfilm des connexions tacites et « historiques » entre la mise en scène et le spectateur, du sens porté par la composition d’un plan, ne fonctionnerait pas autant. On ne sait jamais si l’on est dans la mise en abyme ou dans la réalité du film, s’il faut rire ou si le propos est mortellement sérieux, si le centre de l’action est au premier plan ou au fond, voire hors-champ. Et on accepte d’être trimballé de la sorte puisque tout dans ce nonfilm est en phase avec cette négation, jusqu’au positionnement de la caméra.

Nonfilm emporte aussi l’adhésion parce qu’il est furieusement drôle. Dans la veine absurdo-agressive (beaucoup de blagues se rapportent à la mort, à la violence physique, à l’humiliation), Dupieux fait partie des tout meilleurs héritiers actuels des pionniers que furent les Monty Python. Comme dans Steak et Rubber, non seulement l’inspiration du cinéaste pour ce genre de gags ne connait aucune baisse de régime, mais en plus il sait à chaque fois trouver le dialogue parfait, où se manifeste sans altération l’essence comique de la situation. Cela est encore plus vrai dans la seconde moitié du film, lorsque les deux comédiens stars du film dans le film se retrouvent dans le désert avec trois membres accessoires de l’équipe de tournage pour continuer le tournage sans scénario, sans caméra, sans micro. Ce sera donc « un film aveugle et muet ». Évidemment. Dans celui-ci, pêle-mêle, on s’étrangle soi-même avec une main, on tourne une scène en remplaçant un acteur par un autre pour le même rôle entre deux prises, on briefe d’autres acteurs sur le contenu d’un plan pour lequel ils ne sont en fait pas nécessaires (puisque c’est un plan de paysage), on s’interroge sur le caractère excessif ou pas du naturalisme du jeu d’une des comédiennes improvisées… Ces saynètes et les autres construisent en creux un récit – sur la déchéance d’un crétin arrogant qui l’a bien cherché – profondément idiot, mais fluide et d’une logique interne inattaquable. On peut dès lors affirmer que Nonfilm est un nonbon nonfilm.

Le DVD propose un Nonfilm 2, plus court encore (un quart d’heure), qui tient plus de la suite que de la nonsuite. On y trouve en effet le mélange qui caractérise la grande majorité des suites : des bonnes idées – le casting sauvage et le snuff movie poussés à leur extrême, le sprinkler qui se déclenche entre les prises – mais aussi la surexploitation du concept de base, qui mène à son affaiblissement. Nonfilm 2 reste très drôle, mais la balance y penche plus nettement en faveur de la simple blague stupide, ce qui étrangle quelque peu la richesse et le brio d’origine.

1 livret qui contient au demeurant les meilleurs suppléments du coffret, sous la forme d’excellentes interviews des producteurs et du réalisateur de Rubber

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