• Never let me go, de Mark Romanek (Angleterre-USA, 2010)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Dimanche matin, à 9h30

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Avec Never let me go, on a affaire à un spécimen quasiment unique de film mettant tout en œuvre pour dissimuler sa nature profonde d’œuvre de science-fiction. D’effets spéciaux visuels ou sonores, on ne trouve ainsi aucune trace ou presque – une poignée de plans d’opérations chirurgicales, l’équivalent d’un épisode de Urgences extrêmement calme. Le concept de S-F qui soutient le récit (des êtres conçus et élevés dans l’unique but de servir de réserves d’organes vitaux, pour assurer la guérison et la longévité de « vrais » humains) n’est abordé que de manière allusive, par le vocabulaire. Des termes prenant un sens spécifique dans l’uchronie dont il est question surgissent ici et là au gré des dialogues : « Originaux », « Accompagnants », « Terminaison »… mais ils ne sont jamais mis en avant, puisqu’appartenant au langage courant de ceux qui les emploient. Même chose pour l’unique marque visuelle d’une dissemblance entre notre monde et celui du film, la pointeuse à bracelet électronique présente dans chaque lieu de résidence d’un de ces êtres artificiels, à tous les âges de leur vie. Ce signe fort d’absence complète de liberté est montré explicitement à l’écran mais n’est jamais adressé, expliqué.

L’histoire de Never let me go se concentre sur le destin intime de trois créations / victimes de ce système, qui n’ont jamais connu autre chose que celui-ci ; Kathy (Carey Mulligan), Tommy (Andrew Garfield), et Ruth (Keira Knightley). Nous les suivons à trois périodes de leur existence, durant leur scolarité dans un pensionnat coupé du monde, à la sortie de celui-ci (mais ils vivent alors dans un environnement toujours extrêmement confiné), puis encore quelques années plus tard lorsqu’ils accomplissent leur rôle de donneurs, ce qui leur coûte inévitablement la vie. Le choix d’avoir situé ces trois temps dans un passé révolu – années 70, 80 et 90 – éloigne encore plus le film des exigences clinquantes habituellement imposées à la S-F. Celle-ci est exclue des éléments visuels de Never let me go et n’en est qu’un principe thématique. L’idée qu’elle apporte, des clones purement utilitaires et dont l’âme et les émotions sont considérées comme superflues, définit un cadre radicalisant de deux manières un modèle de récit dramatique classique : la dénonciation d’une injustice sociale, de l’exploitation d’une classe d’individus par une autre.

Oui, Never let me go tient plus du cri indigné à la manière d’un Ken Loach que du blockbuster. La radicalisation que j’évoque intervient dans l’ampleur du mal infligé aux clones, dont aucun ne peut espérer ne pas y laisser sa vie avant d’avoir atteint 30 ans, et dans l’absence totale d’espoir de renverser la situation. En cela, Never let me go est un film de S-F digne de ce nom ; comme tant de classiques avant lui, il décrit un système de production et de société parfait, si parfait qu’il en devient abominable et inhumain. La probité et la cohérence dont le scénario d’Alex Garland fait preuve dans sa visite de ce système, en ne cédant pas à la tentation de la trahison positive (retournement héroïque, deus ex machina, prise de conscience rassurante…), est l’argument essentiel de la réussite du film. Jamais la chape de plomb qui pèse sur les héros et sur le récit ne s’allège. Elle assourdit toute révolte, tout espoir d’échapper à un destin saboté imposé par une force extérieure inaccessible. Les corps sont privés de séduction, les gestes de passion, les lieux de beauté ; tout est gris, triste, mélancolique des plaisirs, des libertés et des imprévus que les personnages ne connaitront jamais. Rien ne peut éclore, ni dévier de sa route, et le film gagne incontestablement à avoir respecté cela. En tant qu’allégorie éthérée de la condition des opprimés de toutes sortes (ouvriers à la chaîne, migrants sans droits, etc.), Never let me go est poignant. Par contre, comme mélo – Kathy, Tommy et Ruth forment un triangle amoureux malmené de l’intérieur et par l’extérieur –, il est plus quelconque. La faute à une mise en scène trop polie et à un script pas à l’aise avec ce genre de dynamique, de sentiments. Mais cela est anecdotique par rapport au souffle plus profond, plus vital qui porte le film.

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