• N’est pas The wire qui veut

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Je n’aurais donc tenu que trois épisodes et demi supplémentaires après le pilote de Boardwalk Empire. Malgré le parrainage de Martin Scorsese, malgré le générique accrocheur, malgré les acteurs, malgré
la mise à profit de la diffusion sur une chaîne câblée pour relever l’assaisonnement d’une dose appropriée de sexe et de violence. Malgré tout cela, car tout cela ne suffit pas à compenser le
défaut central de la série, identifié dès le départ : le souffle court d’une écriture dépourvue de passion et de fougue, en ce qui concerne les personnages comme les événements. Le vice de
forme dépasse ici le simple retard à l’allumage, phénomène courant pour une série tv. Il apparaît clairement que Boardwalk Empire est installée pour un bon moment
sur des rails paisibles plutôt qu’impétueux, filant tout droit à travers une plaine dont le paysage ne change que de manière imperceptible au fil des heures. Ce genre de trajet provoque au mieux
un ennui poli, qui remplit dans Boardwalk Empire le temps bien trop long à attendre avant le prochain bouleversement de la vie d’un ou plusieurs protagonistes.

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La faute du créateur de la série Terence Winter est d’avoir visé trop haut, trop tôt. Sa galerie de personnages est trop fournie, trop homogène (ils sont une dizaine à être d’importance
équivalente), et réunie par un lien trop distendu – autant dire réunie par la volonté arbitraire trop évidente de l’auteur, qui sur cette base vague de « la Prohibition à Atlantic City,
Chicago et New York » aurait tout aussi bien pu piocher dix autres figures. Et créer le même ronronnement monotone d’un documentaire mi-contemplatif (les décors, les costumes) mi-pédagogique
(le fonctionnement à grande échelle des réseaux de trafic d’alcool) sur la période et ses troubles, illustré plus qu’incarné par ses personnages archétypaux. La référence à The
wire
dans le titre de cet article vient du fait que cette dernière possède l’ingrédient qui manque à Boardwalk Empire : un thème fort, sous-jacent à
l’ensemble des événements décrits, qui fait converger pas à pas toute l’écriture vers un point final unique et renversant. Dans la saison 3, dont j’avais déjà parlé ici alors que j’en étais à mi-parcours, ce thème est une interrogation. Quelle réponse apporter, à l’échelle d’une grande ville, au problème de la
circulation de la drogue et des dommages collatéraux qu’elle cause (de santé publique, de sécurité, de désaffection des quartiers gangrénés…) ? Cet axe de réflexion clair et puissant donne
un sens au travail de peinture de la vie de la ville de Baltimore à tous les niveaux, du junkie sans domicile jusqu’au bureau du maire.

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Au moment de mon premier billet consacré à la saison 3 de The wire, l’expérience « Hamsterdam » menée en solitaire par un policier en charge d’un district de
la ville n’était pas encore l’œil du cyclone du récit, et se trouvait à un moment charnière. Le district dans son ensemble avait retrouvé une sérénité inimaginable depuis l’instauration de zones
franches limitées dans lesquelles la vente et la consommation de drogue étaient tolérées ; mais ces zones penchaient dangereusement vers un exemple d’enfer sur Terre. L’entrée dans le jeu de
la société dite « civile », ni politique ni policière, change la donne dans la seconde moitié de la saison. En bien : des associations viennent prendre en charge la santé des
drogués désormais devenus visibles et atteignables (programmes d’échange de seringues, de dépistage de maladies… soit à grande échelle, l’objectif des « salles de shoot »), des
initiatives personnelles permettent la mise en place d’un salaire garanti et d’activités sportives pour les jeunes guetteurs déscolarisés et dont les dealers n’ont désormais plus besoin. C’est
une utopie, uniquement si on choisit de ne pas y croire quoi qu’il arrive, et de s’arcbouter sur la « solution » du statu quo, de l’impasse purement répressive reproduite à répétition
faute de réelle réflexion sur le sujet.

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A mesure que son existence s’ébruite, Hamsterdam s’impose comme sujet principal aux personnages, et à la série elle-même. Tout le monde doit se positionner par rapport à cette idée hétérodoxe. Le
dernier épisode est le lieu de ce jugement inévitable, dont les ramifications et les effets portent The wire à un stade que peu d’œuvres d’art rejoignent : celui où
elle ne se contente plus de faire étalage de sa totale maîtrise, et où elle prend un parti courageux. Sans sourciller. En l’occurrence, The wire défend bec et ongles,
jusqu’à la dernière image, son utopie réaliste – puisqu’elle reconnaît l’existence des drogués, et propose un moyen concret de les réintégrer à la société – via un montage choral dont l’intensité
maintenue sur une pleine demi-heure tient du prodige. Le ton est pessimiste, bien sûr (comme il l’est dans le récit parallèle, brillamment tragique, des frères ennemis Avon et Stringer). La
série exposant crûment, et avec un souci de vérité douloureux, la faillite lâche des détenteurs du pouvoir et l’impuissance de ceux qui ont du courage et de la volonté à revendre. Mais une lueur
d’espoir, une voie alternative à la fatalité a été exhumée et, après tout, ce n’est qu’un monde de fiction qui a été frappé par l’échec. Si ce que dit The wire est
entendu, retenu et répercuté par suffisamment de gens, peut-être le monde changera-t-il en mieux, petit à petit.

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Une réponse à “N’est pas The wire qui veut”

  1. [...] wire m’avait servi de référence pour épingler Boardwalk Empire (cf. l’article en question ici), la saison 4 va dans les lignes qui suivent jouer le rôle d’exemple de tout ce que Mad men [...]