• My little Princess, de Eva Ionesco (France, 2011)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Lundi soir, à 20h30

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

My little Princess est un premier film, et pourtant il a tout pour servir de référence dans la manière de transformer une histoire vraie sordide en une œuvre d’art subtile et vivante. La réussite cinématographique de la réalisatrice Eva Ionesco se double ainsi d’une victoire personnelle, puisque ce cheminement est l’opposé de celui que lui avait fait subir sa mère, en faisant de la petite fille qu’elle était son modèle pour des photographies érotiques et pornographiques. Eva Ionesco rectifie les torts causés, et solde les comptes avec le passé, mais sans emprunter pour cela la voie de la vengeance obtuse. Son regard n’est pas bloqué par des œillères, au contraire elle fait preuve d’une surprenante capacité à prendre du recul par rapport au fait divers – qu’elle aborde depuis les deux points de vue, de la fille et de la mère, traités équitablement – et à ses circonstances réelles.

Ces circonstances sont remaniées de façon assez profonde, afin d’alléger le fardeau du film ; et donner par ce biais plus de marge à la spéculation, à l’analyse en profondeur au lieu de s’en tenir au simple saisissement épidermique face aux méfaits commis par la mère. Ainsi, dans le scénario l’héroïne Violetta ne commence à poser pour sa mère Hanna qu’à onze ans, contre quatre dans la réalité. Quant à la nudité de son corps, elle n’est jamais montrée et le sujet n’est même abordé explicitement qu’une seule fois, ce qui suffit à le faire exister sans en faire un élément central du récit. Il est important d’insister sur cette perspective retenue par Eva Ionesco, celle d’un juge plus que d’un procureur ; car c’est de là que vient la capacité de son film à ne pas accuser, mais bien à observer avec attention, et à questionner. Questionner ses protagonistes, les points de vue divergents qu’ils arborent et les ambiguïtés qu’ils dissimulent derrière, et questionner la position qu’un spectateur peut adopter face à une situation si singulière. My little Princess est un superbe coup de billard à trois bandes, entre le point de départ véridique, son détournement sous forme d’un long-métrage de fiction, et la réflexion bien réelle qu’il impose au public pour savoir jusqu’à quel point il est possible, soutenable d’être catégoriquement distinct des autres.

Cela vient du fait que le film se maintient avec beaucoup d’adresse sur le fil du rasoir, dans cette très étroite zone d’irrésolution entre d’un côté le rejet de personnages déviants au regard de la norme, et de l’autre l’adhésion pleine et entière à leur logique folle. L’ambiguïté est omniprésente, et toujours articulée avec beaucoup de justesse. Hanna est de toute évidence guidée par une pulsion incestueuse, nocive mais elle n’est elle-même qu’une enfant dans ses relations avec les autres adultes. Le statut de victime de Violetta n’est jamais nié, mais elle tire en parallèle de la situation une différence par rapport aux filles de son âge, une spécificité vis-à-vis de son environnement qui sont des choses dont on ne se défait pas aisément. Les artistes avec lesquels Hanna fraye tirent clairement un profit abusif de la sacrosainte liberté d’expression et de création qu’ils revendiquent comme devant être la leur, mais Eva Ionesco ne leur donne pas pour autant tort sur le fond des choses. Elle-même procède, dans sa mise en scène, à des arrangements multiples avec la réalité pour rendre celle-ci plus intéressante. Son travail sur les décors (à cheval entre l’urbain et la nature, avec la proximité du bois de Vincennes), sur l’époque (l’étrangeté et les débordements caractéristiques des années 80 sont joliment mis à contribution), sur le renfermement de plus en plus marqué de Hanna et Violetta dans des pièces exiguës et exubérantes, aboutit à l’émergence d’une chose toujours rare et précieuse sur un écran de cinéma : un état d’esprit, un caractère. Porté par cela, rehaussé encore par ses interprètes (Isabelle Huppert et Anamaria Vartolomei) et par la superbe bande-originale de Bertrand Burgalat, My little Princess est un épatant conte noir. Du genre où des héroïnes suffisamment fortes et malignes s’extirpent des pattes d’ogresses.

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