• Mary Reilly, de Stephen Frears (USA, 1996)

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Où ?

A la Cinémathèque, dans le cadre de l’hommage rendu au directeur de la photographie Philippe Rousselot

Quand ?

Dimanche il y a dix jours, à 19h30

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Presque dix ans après Les liaisons dangereuses, Stephen Frears reforme pour Mary Reilly une équipe quasiment similaire : Christopher Hampton au scénario, Philippe Rousselot à l’image, George Fenton à la musique, Stuart Craig aux décors, John Malkovich dans le premier rôle masculin – un petit rôle a même été trouvé pour permettre à Glenn Close d’être de la partie. Le motif de la réunion est tout aussi imposant que lors de la première occasion, puisqu’il s’agit de l’histoire de Docteur Jekyll et Mister Hyde. Mais son traitement est plus mineur, car oblique. Contrairement aux agissements de Valmont et Merteuil qui étaient abordés de front, le destin du docteur et de son double maléfique est considéré depuis le point de vue d’une de ses domestiques, qui donne son nom au film. Lequel, malgré ses éminentes qualités, ne parvient pas à solutionner cette équation piégée : avoir un personnage principal effacé par nature, et le personnage le plus fascinant maintenu en arrière-plan.

Il s’installe de ce fait sur le plan émotionnel un plafond de verre contre lequel Mary Reilly se cogne et qu’il ne peut jamais briser. Tout ce qui a trait à la trouble relation intime qui se noue entre la femme de chambre et le docteur reste en dedans, pas aussi prenant que cela devrait l’être, comme neutralisé par les contraintes imposées par ailleurs aux deux protagonistes. Entre elle, une ombre dans la société et lui, une ombre dans la fiction, l’histoire d’amour est trop impossible. Le film pèche ainsi dans la poursuite d’une finalité à apporter à son récit, et ne peut échapper à une relative inconséquence. C’est sa limite. Mais à l’intérieur de ce cadre restrictif et déceptif, ce qu’il donne à voir est une admirable œuvre de cinéma. Frears fait une fois de plus la démonstration de ses dons de réalisateur caméléon capable de s’adapter à tous les environnements. Et qui ne se contente pas d’y survivre mais y prospère de fort belle manière.

Mary Reilly le voit s’approprier l’univers gothique britannique de la fin du 19è siècle, avec tous ses codes et symboles. Le film est visuellement une splendeur, fruit de l’inspiration baroque et sinistre qui habite autant les décors que leur mise en lumière. Plutôt faudrait-il dire en obscurité, tant Rousselot les immerge dans de savantes strates de pénombre que seule une brume dense et poisseuse vient démettre. Les lieux en eux-mêmes ne sont pas plus engageants. Les rares sorties dans Londres montrent une ville dédaléenne et oppressante, faite de ruelles coupe-gorge, de bordels et de cimetières. Et le manoir du docteur Jekyll n’a rien d’un havre de paix, étant le siège d’une progression vers l’épouvante : ses sections qui nous sont révélées le plus tardivement (le laboratoire, l’amphithéâtre) sont les plus angoissantes et inhumaines. La bande originale enfonce le dernier clou de cette effrayante étrangeté qui suinte par tous les pores du film. Sur cet aspect comme pour les autres, Frears embrasse sans détour le style gothique tel qu’il a été façonné par des dizaines d’œuvres littéraires et cinématographiques, pour un traitement au premier degré exemplaire et savoureux.

Toutefois, de la même manière que dans Les liaisons dangereuses il ne se laissait pas piéger par les embûches du film en costumes, pour Mary Reilly il esquive l’écueil de l’exercice de style inerte. Il ne s’arrête pas à la mise en place d’un joli tableau d’ambiance mais tient à rendre celui-ci vivant, haletant. Une tension constante court à travers le récit, écho de la peur primale partagée par les personnages, tous prisonniers d’un monde mortellement dangereux et sur lequel ils n’ont pas la moindre once de contrôle. Frears rend palpable cette angoisse indélébile en faisant de chaque scène une épreuve, de chaque action ou trajet un péril. L’avènement de Hyde et sa prise de contrôle progressive sur son alter ego Jekyll, qui va de pair avec une présence croissante à l’écran, forment la partie émergée de ce bloc de ténèbres, sa manifestation la plus effrayante. Hyde est un monstre, et s’il prend définitivement le dessus c’en serait symboliquement fini de l’humanité. Mais c’est un monstre d’apparence tout à fait humaine, sans recours au moindre artifice explicite pour le distinguer du reste des gens. Toute l’expression du caractère démoniaque de sa personne repose sur l’interprétation brillante de John Malkovich. Ainsi le combat entre les deux parts de l’être, Jekyll et Hyde, l’acceptable et l’insoutenable, n’est pas retranscrit dans la grandiloquence mais dans la nuance, qui alarme d’autant plus qu’elle laisse à la part la plus sombre de notre imagination le soin d’imaginer la violence éruptive des conflits intérieurs.

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