• Lucy, de Luc Besson (France, 2014)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Mardi soir, à 22h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Il y a une éternité (du temps du Minitel), Luc Besson faisait des films bons, originaux et qui cartonnaient au box-office – Nikita, Léon, Le cinquième élément. Puis il a pris la grosse tête, a voulu jouer au cinéaste d’art et essai, et s’est ramassé avec deux films « d’auteur » embarrassants, Jeanne d’Arc et Angel-A. Vexé, Besson est parti bouder dans sa chambre, comme le petit garçon qu’il n’a jamais cessé d’être. Il a délaissé toute ambition artistique pour s’orienter exclusivement vers le business : les studios de la Cité du cinéma, la machine à produits dérivés Arthur et les Minimoys, la production de grosses bouses bien rentables via sa société EuropaCorp. Le succès monstrueux d’une d’entre elles, Taken, a pris tout le monde par surprise, Besson y compris, et a changé la donne : soudain le marché américain s’offrait de lui-même, sans aucun effort à fournir pour en forcer la porte. Alors Besson est revenu à la réalisation, mais selon une pure logique d’entrepreneur. The lady, Malavita, et aujourd’hui Lucy sont des projets capitalistiques à visée internationale, qui se donnent l’assurance de fonctionner partout (comme le Coca-Cola) en s’étant dégagés de toute spécificité ou exigence de qualité : pitch simplissime, plagiat d’idées à tout-va, écriture et mise en scène d’une totale désinvolture. Dorénavant Luc Besson fait des films mauvais, photocopiés et qui cartonnent au box-office.

Il faut au moins lui reconnaître cette valeur : Besson est peut-être le seul aujourd’hui à pouvoir tenir tête à l’hydre Disney-Marvel-Pixar sur le terrain du divertissement de masse à succès. Lucy remplit les salles, aux USA autant qu’en France, sans s’appuyer sur des licences préexistantes et avec une puissance de feu commerciale bien plus réduite. Pour cela, bravo, mais pour cela uniquement. Car les moyens employés pour accomplir cette prouesse sont d’une bassesse absolue, affligeante. Certes, Lucy se situe très légèrement au-dessus du zéro absolu atteint par l’entreprise Besson qu’est Taken. Il est moins long, plus diversifié dans ses centres d’intérêt, et accueille plus de talent (Scarlett Johansson réussit à ne pas être emportée par le fond). Cela le rend moins nul, mais plus frustrant, avec la même cause pour les deux phénomènes : c’est un film plus personnel pour Besson. Il y a mis plus de lui-même – à vrai dire il y a mis tout lui-même, 100% de ses personnalités. La surcharge et les contradictions que cela provoque sont fatales à Lucy. Besson a 100% de contrôle sur son film, tout en ayant atteint le stade où il n’en a absolument plus rien à f…aire de rendre une copie pleine de ratures et de taches de gras. Plus personne n’est en position de lui faire la moindre remarque sur des choses aussi consternantes que les inserts d’extraits de documentaires animaliers, la conférence donnée par le personnage de Morgan Freeman, ou la scène où Lucy « révèle » à d’éminents scientifiques le « vrai » sens de la vie, débitant des platitudes tout droit sorties d’une dissertation de lycéen exalté mais peu inspiré.

Chaque illumination de Lucy (une bonne idée, une scène réussie) est presque immédiatement gâchée, disloquée, laissée à l’état de promesse sabotée. Les quelques fois où Johansson est laissée seule à l’écran forment l’essentiel de ces beaux moments ; et la quête solitaire qui est la sienne est ce vers quoi le scénario aurait naturellement dû tendre. Mais Besson est incapable de s’effacer derrière son héroïne, il est à la fois trop calculateur et trop égocentrique pour cela. Calculateur comme le producteur accro par le gain qu’il est devenu, qui greffe au film des scènes d’action EuropaCorp, vues et revues et toujours aussi médiocres (courses de voitures dans Paris, arts martiaux) ; des motifs pompés partout, facilement recopiables et identifiables (Old boy, Matrix, Akira, 2001 tant qu’à faire) ; et le recours à la vengeance comme moteur narratif, rance et ici tout à fait inepte. Égocentrique, Besson l’a toujours été, et dans Lucy comme dans ses autres films on lit en lui comme dans un livre ouvert. On découvre un esprit ne jurant que la technologie et la quantité, et délaissant complètement l’immatériel et le qualitatif. Ce qui compte, c’est d’atteindre à tout prix les 100%, niveau auquel l’homme égalera enfin… l’ordinateur. Et tout en poursuivant ce but exclusif, Besson trouve le moyen de nous affirmer sérieusement, et d’un air critique, que le monde va mal parce que nous sommes obnubilés par « le pouvoir et l’argent ». C’est d’un cynisme insupportable, ou d’un aveuglement confondant – ou peut-être bien les deux à la fois.

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