• Les neiges du Kilimandjaro, de Robert Guédiguian (France, 2011)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Samedi après-midi, à 16h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Après un détour par le film historique commémoratif et ampoulé (L’armée du crime) qui n’a pas convaincu grand-monde, Robert Guédiguian revient à une forme d’engagement en prise directe avec la réalité des individus d’aujourd’hui. Un retour à son thème de prédilection, mais qui ne rime pas avec régression ou radotage. Comme pour Lady Jane, son précédent long-métrage employant sa « formule magique » (Marseille comme lieu vivant de l’action, et le trio Darroussin-Ascaride-Meylan en haut de l’affiche), Guédiguian s’applique dans Les neiges du Kilimandjaro à emmener celle-ci dans une direction nouvelle. Il a recours pour cela à un supplément de fiction, qui bouscule le travail d’exposé social en le faisant cohabiter avec un genre cinématographique fort – le film noir dans Lady Jane, le conte à la manière de Capra ici.

La problématique qui se trouve au cœur de ces deux longs-métrages est la même : celle de la transmission entre les générations de ce qui compte, les luttes, les conquêtes, les idéaux. Guédiguian accompagne ainsi le vieillissement des comédiens qui portent son message auprès du public film après film, et qui sont maintenant à un âge où la question du passage de témoin à la jeunesse devient essentielle. Loin d’ouvrir sur une existence plus simple et accomplie, ce changement de rôle éveille des doutes de taille. Avons-nous été à la hauteur de nos victoires, en parvenant à les pérenniser suffisamment pour que ceux qui viennent après nous puissent s’appuyer dessus ? Et sommes-nous encore à la hauteur, pour montrer l’exemple et indiquer la voie du progrès ? Lady Jane répondait par une négative cruelle. Les neiges du Kilimandjaro semble pendant longtemps prendre le même chemin. Le film s’ouvre sur une défaite – un tirage au sort pour décider du nom de vingt ouvriers qui vont être licenciés – rendue plus dure encore par le fait que nous n’avons pas assisté au combat qui a précédé pour parvenir à ce que l’on nous dit être un compromis. Puis le couple formé par Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin, Marie-Claire et Michel, remonte la pente après ce coup de massue (Michel était délégué syndical et a tiré son propre nom parmi les vingt). Lui apprend à profiter de sa préretraite forcée, et à l’occasion de leurs trente ans de mariage ils se voient offrir l’argent pour un voyage en Tanzanie. La deuxième chute n’en est que plus terrible : un braquage à main armée à leur domicile, commis par un des invités de la fête – et même un des ouvriers licenciés en même temps que Michel.

Ce chômeur là, Christophe (Grégoire Leprince-Ringuet), est tout jeune, et n’a pas accumulé le même matelas financier et matériel simple mais satisfaisant que le « vieux » Michel. C’est pour cette raison qu’il se résout à voler un peu plus riche que lui. Le premier geste éminemment politique de Guédiguian dans Les neiges du Kilimandjaro intervient lorsqu’il change de personnage central et se met dans les pas de Christophe après le vol. Celui-ci n’est plus réductible à des mots, le voleur, le salaud, le méchant, dès lors que l’on découvre le contexte dans lequel il vit (seul avec ses deux jeunes frères à charge dans une tour HLM délabrée) et ce qu’il fait de l’argent obtenu – essentiellement, payer les loyers en retard et faire les courses. La perspective du récit change ainsi suffisamment pour que ce qui nous met le plus mal à l’aise soit les réactions épidermiques et haineuses des victimes à l’encontre d’un individu certes criminel mais plus à plaindre qu’eux. Ceux et celles que nous avions appris à apprécier et à considérer comme les héros honnêtes du film exposent une face sombre, qui provoque la déception plus que le désaveu. Ce sont toujours de bonnes personnes, mais qui ne sont pas ou plus capables d’être à la hauteur de leurs idéaux, du rôle qu’ils se sont un jour dit qu’ils allaient tenir dans la société.

Ce que Guédiguian fait là est fort et courageux. Il ose montrer des good guys faibles, déficients, sur le point de déposer les armes et de glisser dans le laisser-faire et le chacun pour soi. La démarche est plus dérangeante encore que son reflet, qui consiste à peindre des bad guys ayant une conscience et de bonnes raisons d’agir comme ils le font. Avec Les neiges du Kilimandjaro le cinéaste s’approche tout au bord de l’abîme de l’égoïsme, de la déliquescence définitive des liens sociaux et humains entre les gens ; l’abîme de la non-société telle que le modèle économique néolibéral la rêve et l’instille en chacun de nous. Mais, malgré cette doctrine et les crises concrètes qu’elle provoque, dont il ne nie en aucun cas l’importance, Guédiguian veut croire à une issue positive. A une lueur d’espoir qui se ranimerait. Utopie, déni de réalité ? Non, une prise de position déterminée et bouleversante, nourrie par le besoin de continuer à croire en l’être humain, en sa bonté et sa solidarité malgré les exhortations à faire le contraire. L’épilogue volontairement enchanté du film fait beaucoup penser à Vous ne l’emporterez pas avec vous de Capra. Conçu dans des circonstances similaires (la Grande Dépression des années 30), soutenant les mêmes convictions (la famille, au sens large des liens d’humanité et non des liens du sang, comme refuge solide et précieux), parvenant à son but par les mêmes chemins de traverse (un quiproquo facétieux et profondément émouvant). Guédiguian se montre on ne peut plus digne de cette prestigieuse ascendance.

Laisser un commentaire