• Le promeneur du champ de Mars, de Robert Guédiguian (France, 2005)

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Où ?

Dans le train vers Toulouse, en DVD sur l’ordinateur portable

Quand ?

Fin mai

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Le mois dernier j’ai préféré ressortir de mes placards Le promeneur du champ de Mars, tiré du livre Le dernier Mitterrand, plutôt que d’aller voir La conquête, plombé par bien trop d’avis bien trop argumentés et convaincants sur les insuffisances du film, sur les plans cinématographique et idéologique. Le promeneur du champ de Mars est un long-métrage unique dans la filmographie de Robert Guédiguian, sans sa troupe d’acteurs réguliers (Ariane Ascaride, Jean-Pierre Daroussin, Gérard Meylan), loin du pays marseillais, bref sans relation avec ses œuvres précédentes et sans effet sur les suivantes. Selon une norme que l’on a plus l’habitude de voir suivie aux USA qu’en France, Guédiguian s’est effacé au profit du sujet qui lui a été commandé, ne gardant actif que son talent et mettant en veille ses thèmes personnels de prédilection.

Des thèmes chers au cinéaste tels que la chose politique (au sens noble, loin des gesticulations politiciennes), les problématiques de l’engagement personnel et de la mise en adéquation des idéaux et des actes, sont en bonne place parmi les sujets abordés par le film. Mais ils sont presque toujours associés aux personnages secondaires, lesquels entretiennent une animation de fond qui bien que sérieuse et légitime en soi se trouve ici remise en perspective par le contexte singulier auquel le livre astreint ce « dernier » Mitterrand. Ses derniers mois de mandat présidentiel, à cheval sur 1994 et 1995, ont en effet été marqués par l’exigence du bilan. Bilan intime, la mort étant toute proche ; et bilan opéré depuis l’extérieur, au terme d’un demi-siècle de présence ininterrompue sur l’échiquier du pouvoir. Le promeneur du champ de Mars n’est ainsi pas tant un film sur la politique que sur le passage du temps, de la vie, et sur son étape terminale qu’est la vieillesse. Avec son destin véritablement hors du commun – Vichy et la Résistance, la rivalité avec De Gaulle, la prise du pouvoir par la gauche en 1981 et les renoncements idéologiques qui ont suivi –, Mitterrand est un sujet réel idéal pour habiter pleinement cette problématique du bilan et toutes les ambiguïtés qu’elle charrie.

A l’approche de la fin de la vie, tout semble en effet se mettre à fonctionner par paires de notions antagonistes. L’étendue du savoir amassé confrontée à la vulnérabilité des souvenirs. La somme des expériences face à l’évidence que l’avenir va se dérouler sans vous, et qu’elles ne seront donc très vite plus d’aucune utilité. Le désir d’effectuer une sortie par le haut, vers une certaine forme de grâce et de transcendance, contrarié par les polémiques factuelles dans lesquelles on cherche à vous enliser. Le goût toujours marqué pour les plaisirs hédonistes de l’existence, alors que vous frappe de plein fouet la déliquescence terminale de votre santé physique. Tous ces aspects, les bons comme les désagréables, sont traités par Guédiguian avec beaucoup de franchise et même de crudité. Le vécu historique, et pour l’essentiel connu de tous, de Mitterrand leur donne le poids adéquat. Et l’assemblage par le montage des différentes scènes, qui ont chacune un thème unique (le film est en cela très pur, très fluide), assure la constitution du tableau d’ensemble du bilan. Le promeneur du champ de Mars gagne sur tous les plans car en s’éloignant ainsi volontairement de l’excitation et de la précipitation qui peuvent aller de pair avec la politique, en replaçant l’humain au centre de ses considérations (y compris de manière anecdotique parfois : le ton amusé avec lequel Guédiguian capte les us et coutumes du quotidien pas tout à fait normal à l’Élysée, par exemple), il retrouve… la politique, mais sous un jour plus noble. Car c’est bien de son lien avec l’humain que la politique tire son bien-fondé, sa valeur. Chose que Le promeneur du champ de Mars rappelle opportunément – tout comme le fait en ce moment dans les salles Pater, dans lequel Alain Cavalier applique un raisonnement similaire à celui de Guédiguian, à sa manière qui n’appartient qu’à lui bien sûr.

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