• Le dernier duel, de Ridley Scott (USA, 2021)

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Où ?

A la maison, en Blu-Ray édité par 20th Century Studios (sorti le 18 février 2022, également en 4K UHD, DVD et VOD, et en achat digital le 10 février) et obtenu via Cinetrafic

Quand ?

Le week-end dernier

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Le dernier duel s’inscrit dans le sillon des films moyenâgeux – à la qualité inégale : Kingdom of Heaven d’un côté, 1492 et Robin des Bois de l’autre – de Ridley Scott, tout en se raccordant de manière explicite à son premier long-métrage, Les duellistes. Le titre du Dernier duel peut le faire fonctionner comme un coda de ce film réalisé il y a bientôt un demi-siècle par Scott. Il s’agit de filmer un duel de plus, un duel définitif, tant pour l’œuvre de Scott (fortement marquée par ce motif du duel décisif : Alien, Blade Runner, Gladiator…) que pour l’histoire du cinéma (le duel en question, dantesque, tétanisant, est une spectaculaire leçon de mise en scène, mise en exergue par le – trop court – making-of du Blu-Ray), tout comme ce duel fut l’un des derniers cas de justice par combat mortel dans l’histoire de France. Il opposa Jean de Carrouges à Jacques Le Gris, le second étant accusé par l’épouse du premier, Marguerite, de l’avoir violée. La structure narrative du film a l’intelligence de dissocier le duel du reste du récit, de la même manière qu’un tel épisode est totalement éloigné du concept de justice – rien que par sa façon d’opposer l’accusé au mari de la victime et non à cette dernière, réduite à son statut de propriété. Le long cheminement jusqu’au duel (qui intervient après deux heures de film) a pour but de montrer comment ce duel a moins à voir avec le crime subi par Marguerite, qu’avec le mâle orgueil des deux combattants, anciens amis que la quête du pouvoir sous toutes ses formes a rendus pires ennemis.

Le dernier duel est profondément cruel avec l’ensemble de ses personnages, mais d’une cruauté différente suivant qui la subit. Vis-à-vis des opprimés, Scott enregistre, sans l’atténuer mais sans l’aggraver non plus, la cruauté des traitements que les oppresseurs leur infligent – c’est le sens des multiples échos entre la situation de Marguerite et celle des juments possédées par Carrouges dans le même but qu’elle, procréer à des fins de profit, statutaire ou financier. C’est envers les oppresseurs que le film se montre en soi-même implacable, accumulant tel un dossier à charge – fourni comme s’il aspirait à accomplir la tâche impossible, sisyphéenne, de compenser les procès-verbaux fantômes des abus sexistes et sexuels jamais instruits pour la grande majorité des victimes – autant de manifestations d’humiliations et d’agressions qu’il est possible de le faire en deux heures de temps. Le viol commis par Jacques Le Gris en est la pointe la plus violente, dont la blessure se prolonge dans le temps par le refus de Le Gris de se considérer comme un violeur, en toutes circonstances – son récit personnel de l’agression, aveugle à sa violence – et jusque lorsque sa vie en dépend. Son amour-propre lui survit, dans un dernier acte d’ego monstrueux.

Carrouges lui-même n’est qu’un peu moins un salaud que les autres hommes, son sens moral émoussant légèrement la férocité avec laquelle il tient le rôle de mâle dominant et bestial. À la toxicité généralisée du règne autoritaire des hommes, qui fonctionne comme une forêt sombre et dense, pleine d’intrigues et de conflits dont les femmes sont toujours les victimes, Le dernier duel oppose sa conception de la ligne claire permettant de couper à travers bois : une intégrité sans faille, qui cadre de bout en bout son positionnement vis-à-vis de ses protagonistes. Le scénario est sûr de son propos sur les agressions subies par les femmes, et servi par l’intensité de la mise en scène et du montage de Scott. L’effet le plus tranchant du film est pourtant d’une économie de moyens extrême. Le dernier duel est construit en trois segments correspondant aux témoignages parcellaires de chacun.e des parties prenantes de l’intrigue, dont les deux premiers sont introduits par un carton « La vérité selon Jean de Carrouges / Jacques Le Gris ». Le dernier carton, « La vérité selon Marguerite de Carrouges », devient au bout de quelques secondes « La vérité ». Dire cette vérité et la faire reconnaître comme telle, pour le film, pour Marguerite, pour les victimes, n’est pas une condition suffisante pour se faire entendre ; mais elle est absolument nécessaire pour ne pas être réduite à un silence qui vous achèverait une seconde fois.

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