• Le cri du sorcier, de Jerzy Skolimowski (Royaume-Uni, 1978)

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Où ?

À la maison, en Blu-Ray/DVD édité par Elephant Films (sortie le 2 juin 2015) et obtenu via Cinetrafic dans le cadre de leur opération « DVDtrafic »

Quand ?

Lundi soir

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Même au zénith de sa carrière compliquée, dans les années 1960-70, Jerzy Skolimowski tournait peu par rapport à son talent – huit ans séparent Le cri du sorcier de son précédent film d’importance, Deep end, et quatre du suivant, Travail au noir. Skolimowski, expatrié de Pologne, travaillait alors en Angleterre, en sachant s’entourer idéalement. Avant que Jeremy Irons tienne le rôle principal de Travail au noir, c’est le trio de choix Alan Bates – Susannah York – John Hurt qui interprète Le cri du sorcier, tandis qu’autour de la caméra on retrouve entre autres, comme le souligne Jean-Pierre Dionnet dans sa présentation exhaustive bien que factuelle qui sert d’unique bonus de cette édition Blu-Ray/DVD, le producteur Jeremy Thomas (qui a collaboré avec David Cronenberg, Bernardo Bertolucci, Wim Wenders, Nagisa Oshima…) et les musiciens fondateurs du Genesis « historique », Tony Banks et Mike Rutherford. La création sonore occupe une place prépondérante dans le film, ainsi que l’indique le titre de celui-ci. Le personnage central, Crossley, se targue d’avoir hérité d’un sorcier aborigène, entre autres incantations, d’un cri pouvant tuer. Quand il en apportera la démonstration, à la moitié du récit, le cri s’avèrera terrifiant et assourdissant au-delà de toute mesure. Et puisque son cri est réussi, alors le film l’est aussi.

Néanmoins, et peut-être parce qu’il est tiré d’une nouvelle, genre littéraire qui a souvent tendance à clore ces histoires par des chutes réduisant fortement leur portée, Le cri du sorcier ne tient pas tout à fait dans sa seconde partie les immenses promesses forgées par la première. La dernière ligne trop droite du film et son dénouement déçoivent un peu, car on s’était pris auparavant à rêver – ou plutôt à cauchemarder – à un niveau autrement plus grand. Le puzzle inaugural projeté sur l’écran est superbement déroutant, Skolimowski rendant impossible notre pleine compréhension de ce qui se joue en brouillant les réponses aux questions de base concernant les personnages, leurs relations, leur état. Il nous est impossible de savoir où sont la vérité, le fantasme, le présent même. Puis le récit s’engage dans un long flashback, narré par le protagoniste – Crossley – le moins fiable parmi tous ceux présents, et à la perte de repères s’ajoute la montée irrésistible de la terreur, à mesure que l’histoire monte vers le fameux cri. Surgissant de nulle part Crossley s’insinue dans le couple ordinaire et tranquille formé par Rachel et Anthony, et le disloque méthodiquement en manipulant les deux époux comme des pantins. Il provoque l’attraction chez l’un et la répulsion chez l’autre, puis module voire inverse ces sentiments sans rencontrer la moindre résistance à ses agissements.

Auprès de Rachel et Anthony, Crossley se réclame de l’héritage d’un chamane aborigène ; depuis là où nous, spectateurs nous l’observons il paraît imposer à ses victimes envoûtées le même contrôle hégémonique qu’Anthony sur les objets dont il se sert pour ses compositions musicales, ou que… Skolimowski sur nous-mêmes dans sa manière de conduire son film. Son récit est d’une implacable sécheresse, déplaçant ses pions sans chercher à générer de l’empathie envers quiconque (Deep end fonctionnait déjà de la sorte). Sa mise en scène ne vise qu’à nous dominer et nous égarer, en multipliant les changements brusques d’échelle entre lieux exigus et immenses, et en mettant à profit le don du cinéaste pour l’occupation visuelle des espaces, quels qu’ils soient. Donnez-lui une caméra et Skolimowski vous transforme n’importe quel décor en un endroit mémorable, dérangeant et angoissant. Le véritable chamane maléfique, c’est lui. Quand Crossley pousse enfin son cri, que l’on en découvre avec stupeur la puissance et les conséquences effroyables, Skolimowski nous a mis dans un tel état de transe et d’aliénation que la bascule qui s’opère alors au sein du film vers un monde où la magie noire existe et commande effectivement ne nous rebute absolument pas. On y croit tout à fait, on ne demande qu’à se laisser emporter loin, très loin de nos certitudes, ébranlées depuis les premiers instants du Cri du sorcier et à cet instant tout à fait enfoncées ; mais c’est alors le film qui nous fait faux bond, en calmant le jeu au lieu de l’enflammer, en rebouclant sa narration au lieu de la faire exploser définitivement. En nous laissant légèrement sur notre faim.

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