• La grotte des rêves perdus, de Werner Herzog (Allemagne-France, 2010)

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Où ?

Au MK2 Quai de Seine

Quand ?

Vendredi après-midi, à 16h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

La filmographie du cinéaste Werner Herzog, dont la renommée s’est bâtie essentiellement sur ses collaborations houleuses avec l’acteur Klaus Kinski dans les années 1970 et 1980 (Aguirre, la colère de Dieu et autres), est d’une prolixité assez prodigieuse depuis le passage au nouveau millénaire. Il y a deux raisons à cela : son passage à « l’ennemi » hollywoodien, pour lequel il tourne désormais ses longs-métrages de fiction ; et sa passion nouvelle pour le documentaire, initiée par un premier essai traitant de… lui-même et Kinski, Ennemis intimes. Sautant d’un genre à l’autre, Herzog en est ainsi à onze films en autant d’années, série en cours. La grotte des rêves perdus n’est pourtant que le troisième à sortir en salles en France, après le méta-documentaire Grizzly Man et le film noir dément Bad lieutenant : escale à la Nouvelle-Orléans. Il est bien difficile de trouver une logique dans ces choix de diffuser ou non ses œuvres. Grizzly Man est possiblement le plus expérimental de ses films de cette période (Herzog y remonte et commente des rushes tournés par un autre que lui, qu’il n’a jamais rencontré). Bad lieutenant… est porté par une star, Nicolas Cage, mais c’est aussi le cas de Rescue dawn avec Christian Bale qui lui est pourtant resté inédit. Et aujourd’hui, La grotte des rêves perdus arrive jusqu’à nous au contraire de la précédente expédition « National Geographic » du cinéaste, Encounters at the end of the world, pourtant construite exactement sur le même modèle.

Pour ce dernier exemple de différence de traitement, on peut quand même formuler deux hypothèses. La première est la proximité du sujet : la grotte Chauvet dont il est question ici, c’est chez nous (et a même sa place au sein des joyaux de notre patrimoine national), quand l’Antarctique de Encounters… c’est très loin (et ça appartient à tout le monde). La seconde, plus louable, est l’intégration de la 3D à la mise en scène. La grotte des rêves perdus vient grossir les rangs – qui en ont bien besoin – des films où ce procédé technique est plus qu’un gadget ni très beau ni très pertinent. Ce n’est pourtant pas compliqué : la troisième dimension au cinéma fonctionne par génération d’une profondeur sur l’écran, derrière l’écran (les jets d’objets devant l’écran, c’est bon pour le Futuroscope et les pubs Haribo). Elle a donc surtout son utilité lorsqu’elle est employée dans des lieux disposant naturellement d’une profondeur de champ intéressante. Typiquement, une grotte. L’évidence de cette démonstration qui confine au sophisme nous frappe dès le premier plan filmé par Herzog dans la grotte Chauvet. On perçoit par nos sens, et non pas seulement par notre intellect, tous les volumes du lieu, sa structure interne. L’exiguïté des couloirs et la dimension des salles creusées par la nature. Et puis, bien sûr, les moindres aspérités et anfractuosités de la paroi rocheuse, qui sont partie prenante des peintures rupestres réalisées sur celle-ci par nos ancêtres humains d’il y a 38000 ans. La 3D par Herzog a tous les avantages. Elle est belle, car pensée dès le tout début du projet. Elle est fructueuse, car procurant un plus indéniable par rapport aux mêmes images vues en 2D. Enfin elle est, pour la première fois, vitale : la grotte Chauvet étant fermée au public pour éviter la dégradation des peintures.

Pour étendre son film à 90 minutes, et en faire une œuvre subjective et non illustrative, Herzog alterne les visions rapportées de ses plongées dans la grotte (qui bouleversent à chaque fois comme si c’était la première) avec des interviews de scientifiques travaillant sur place, et des réflexions que le caractère tout sauf primitif de ces peintures lui inspire. Les entretiens sont rendus intéressants par les qualités d’intervieweur de Herzog, qui sait poser les bonnes questions. Ils restent cependant assez communs, par manque d’une étincelle semblable à celle présente dans Encounters… où le fait de venir travailler, et vivre, en Antarctique suppose un tempérament suffisamment déséquilibré pour rendre les humains croisés par Herzog presque aussi curieux que les singularités de la faune et de la flore locales. Les pensées intimes que le réalisateur partage avec nous ont plus de poids, si l’on n’est pas rebuté par les conceptions new age qui les sous-tendent – et qui ne datent pas d’hier chez Herzog. Celui-ci s’interroge à voix haute sur l’art, l’âme humaine, l’évolution (ou de manière plus correcte, les mutations). La grotte des rêves perdus est une étape supplémentaire dans sa quête des confins du monde sensible comme de celui interne à l’être humain. Ses propositions de réponses n’ont pas valeur de vérité, mais ouvrent la porte au questionnement, à l’introspection sur des thèmes vertigineux.

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