• Jack Reacher, de Christopher McQuarrie (USA, 2012)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

À l’UGC George V, dans la grande salle

Quand ?

Mardi soir à 20h, en avant-première

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Il y a autant de manières de rater un thriller qu’il y a de mauvais réalisateurs et scénaristes, mais il y en a essentiellement deux pour le réussir : par la qualité de son intrigue à tiroirs, ou par la valeur de la vision du monde qui y est exprimée. Christopher McQuarrie a été le véritable cerveau de l’un des modèles de la première catégorie, Usual suspects, dont on lui doit le scénario. Il est ensuite passé à la mise en scène avec The way of the gun, un film noir aussi délectable que méprisé à sa sortie. À la suite de cet échec, McQuarrie s’est vu réduit à utiliser son talent de scénariste dans les oubliettes d’Hollywood, officiant comme script doctor jamais crédité sur les films des autres. Une décennie plus tard, presque aussi vite qu’il était tombé en disgrâce, c’est le retour à la lumière : Bryan Singer, le réalisateur de Usual suspects, porte à l’écran son scénario Walkyrie ; Tom Cruise, rencontré à cette occasion, le fait travailler sur Mission impossible : protocole fantôme, puis lui donne les clés de son nouveau projet, Jack Reacher. Toutes les clés, scénario et mise en scène, à lui seul, et officiellement.

De ce film, McQuarrie fait un thriller réussi en empruntant cette fois la deuxième voie du succès, celle de l’observation du monde. L’enquête servant de moteur au récit est en effet transparente, principalement car elle est étranglée entre l’épais cahier des charges de ce genre de production commerciale et les éternels problèmes posés par l’adaptation d’un roman en un film de deux heures. Le premier point condamne tous les possibles chemins de traverse aventureux (ainsi la question du point de vue sur la scène de crime inaugurale, à peine effleurée), et exige la présence d’une course-poursuite imposante et d’une fusillade finale qui le soit tout autant. Deux figures imposées que McQuarrie réalise de très belle manière, soit dit en passant, avec une forme brute remarquable (pas de musique, découpage tiré au cordeau, gestion de l’espace excellente). Le second point contraint lui à une progression se faisant en permanence dans l’urgence, chose dont l’effet négatif se ressent surtout dans le final exécuté à la va-vite. Jack Reacher devient alors grossier dans son propos, à rebours de ce que les deux heures qui précèdent avaient soigneusement mis en place en s’appuyant sur les différents talents individuels réunis.

Il y a ici du professionnel aguerri à tous les niveaux, dans un collectif comme le système hollywoodien à son meilleur sait les assembler. Tom Cruise évidemment, fidèle à lui-même (c’est-à-dire excellent), mais aussi les seconds rôles de provenance très diverse, Robert Duvall, Jai Courtney, Rosamund Pike, le génial joker Werner Herzog, et tous ceux qui s’activent derrière la caméra (dont le chef-opérateur Caleb Deschanel, qui compose une très belle lumière). Le chef d’orchestre McQuarrie les fait tous jouer à l’unisson au moyen d’une partition remarquablement bien pensée sur le plan humain. Jack Reacher est un de ces trop rares films qui parviennent à être cyniques sans que ce soit un travers. McQuarrie ne nous berce d’aucune illusion quant à la prédominance de la part mauvaise (violence, cupidité, corruption et autres) de la nature humaine, tout comme il ne perd jamais de vue le fait que de simples initiatives individuelles ne peuvent suffire à changer le monde. Il fait dès lors de son héros un vagabond en retrait plus qu’un justicier en croisade perpétuelle, et c’est très bien ainsi.

Cette marginalité volontaire de Jack Reacher a une autre cause, tout aussi intelligente. McQuarrie fait démarrer son film là où le récent Cogan se terminait sottement : sur le constat que « America is just a business ». Au lieu de redémontrer l’évidence dans sa théorie, McQuarrie en dresse une représentation exemplaire sur le modèle réduit d’Amérique qui sert de toile de fond à son intrigue. Dans cette société qui est en réalité un système, sans liens véritables entre les gens autres que ceux du business, le choix de vie se limite à trois rôles : le profiteur, l’exploité, et l’exclu volontaire. Jack Reacher, tout comme le personnage de Robert Duvall, incarnent ce dernier statut. Les autres se répartissent, selon leurs capacités et leur vice (car tout pouvoir a sa part de noirceur dans Jack Reacher, ce qui en fait le digne héritier des films noirs de la grande époque[1]), entre les faibles et les puissants, les outsiders et les insiders. Entre l’Amérique qui prend le bus et celle qui possède une voiture, ainsi que l’énonce la scène la plus perçante du film, où les laissés pour compte font corps avec le vagabond contre les représentants de cet ordre qui se fait sur leur dos.

[1] et ce pourquoi son héros éponyme refuse le pouvoir qu’il pourrait s’arroger par les mêmes méthodes que le grand méchant du récit

Laisser un commentaire