• Hors Satan, de Bruno Dumont (France, 2011)

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Où ?

Au Cinéma des cinéastes

Quand ?

Jeudi soir, à 22h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Hors Satan est le troisième film de Bruno Dumont que je vois, après Flandres et Hadewijch (je n’ai vu aucun des trois qui leur sont antérieurs). Des trois Hors Satan est le plus intransigeant, le plus solidement ancré dans ses convictions et ses règles propres. C’est pourtant celui qui m’a le plus marqué, et qui est le plus parvenu à émousser mes réticences de fond vis-à-vis du cinéma de Dumont. Elles résistent encore, mais juste assez pour empêcher une adhésion pleine et entière. Pour le reste, il est clair avec Hors Satan qu’à mes yeux le sillon labouré avec une obstination certaine par le cinéaste est tout à fait fondé et fertile. Bruno Dumont fait du cinéma, au sens le plus pur du terme. Il délaisse tous les autres moyens de communication avec le spectateur qui sont communément associés dans les films au geste cinématographique pur, car ils sont plus explicites et leur effet plus immédiat : la musique, les dialogues, le montage dans son utilisation signifiante. Dumont s’exprime exclusivement par l’action de créer des images, des visions à partir de la mise en présence d’un décor, de personnages agissant dans ce décor, et d’une caméra pour observer ce décor et ces actions – observation forcément et volontairement partielle, certaines choses étant conservées dans le cadre et d’autres non. C’est un absolu de cinéma tel que Godard le pratique encore lui aussi dans son coin, un absolu qui flirte indéniablement avec le conceptuel mais n’est pas pour autant dépourvu de force. Plus qu’avec une famille de cinéma, la pratique quasi expérimentale de Dumont présente en fin de compte plus de correspondances avec la forme contemporaine des autres arts picturaux et graphiques, qui ne tendent plus la main au public et cherchent à créer un lien plus fondamental avec lui. Le résultat est un quitte ou double tranché (dans un musée d’art moderne comme devant un film de Dumont, ça passe ou ça casse ; on ressent ou on ne ressent pas) qui remplace le consensus plus ou moins mou auquel aspirent le cinéma narratif comme l’art classique[1].

C’est en embrassant encore plus cette affinité qui le place en rupture de sa famille « biologique » qu’est le cinéma que Dumont s’élève plus haut avec Hors Satan. Il n’est presque plus question dans ce film d’un récit ou d’un sujet, mais directement d’un sentiment, d’un mystère au sens noble du terme, celui de la mystique et du spirituel. Dumont grossit à dessein le trait dans sa représentation de la trivialité physique du monde – décors nus, acteurs amateurs interprétant des rôles rudimentaires, actions filmées sans cérémonie – afin de l’assécher, la vider de sa force. Ce geste radical, kamikaze même (impossible de blâmer ceux qui y restent réfractaires et n’y voient qu’une démonstration de ridicule auteuriste hagard, car il n’est pas toujours facile de suivre le cinéaste dans cette voie) vise à ouvrir une brèche par laquelle faire jaillir à l’écran ce mystère occulte, enseveli sous la réalité et la marche du monde. Hors Satan se détache du monde sensible et traite de la possibilité de la présence de forces supérieures, inexpliquées, que l’on pourrait regrouper sous le nom de grâce – positive ou négative selon les situations et les points de vue. Le héros du film, « le gars », exécute autant qu’il ressuscite, et pratique des exorcismes amoraux, à la finalité insondable. On ne sait si ce qu’ils extirpent est le mal ou le bien des êtres. Les seules choses que l’on sait avec certitude sont que Dumont, par sa mise en scène, donne à chacune de ces manifestations inhumaines une intensité bouleversante ; et qu’il réussit à ne les lier à aucune doctrine religieuse explicite. Hors Satan n’est pas un discours sur la religion, car les religions sont déjà quelque chose de trop manufacturé par rapport à l’ambition de Dumont d’un retour à l’originel, au primitif, au noyau indissoluble qui vient avant l’humain, qui va au-delà de l’humain. Qui nous traverse. Le cinéma a toujours été un médium idéal pour aborder cette problématique de la foi et de ses mystères (voir les films de Dreyer, pour ne citer que lui). Bruno Dumont tente d’exploiter cela pour mener et nous faire partager sa propre réflexion sur le sujet. C’est un pèlerin de cinéma, qui avec Hors Satan a fait un indéniable grand et beau pas en avant.

[1] ce qui ne signifie en aucune façon que les œuvres créées selon cette méthode sont toutes forcément molles, bien évidemment

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