• Flight, de Robert Zemeckis (USA, 2012)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles, dans l’une des trois grandes salles

Quand ?

Jeudi, à 22h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Hasard du calendrier : au même moment, les deux ex-wonderboys du grand spectacle homérique hollywoodien des eighties signent un film prenant à revers ce système qu’ils ont contribué à instituer. Spielberg relègue la Guerre de Sécession dans le hors champ de son Lincoln ; Zemeckis orchestre toute l’ouverture de Flight (titre et affiche compris) autour d’un crash d’avion dont l’unique rôle est de servir de prélude à un drame intimiste. Le temps d’un long-métrage, les deux cinéastes délaissent les principes physiques de l’action et du mouvement, ou plutôt redéfinissent les modalités de leur usage. Ils ne sont plus les dépositaires uniques de l’essence et de l’énergie du film. Ils gagnent en poids de leur signification ce qu’ils perdent en ampleur et, d’étendue, leur action devient concentrée en un point presque ponctuel ; un détonateur. L’explosion n’est pas un morceau de bravoure s’étirant sur deux heures, mais une secousse soudaine dont il faut soigner les séquelles, aux racines profondes et aux effets douloureux. Pour ce travail l’action s’efface devant la parole et l’introspection, qui agissent en chambres – d’hôpital et d’hôtel dans Flight, de la Maison Blanche et du Congrès dans Lincoln. Spielberg se tient à l’écart des champs de bataille car son personnage principal sait que la résolution de la guerre ne pourra être que politique. De même, à l’échelle d’un individu et non plus d’un pays, Flight est fondé sur la prise de conscience que le crash, tout extraordinaire et monumental qu’il est, n’a pas de réelle valeur en soi. Il n’est qu’un symptôme, la conséquence de maux invisibles en soi car relevant de l’esprit, de la morale ; de la manière de mener sa vie.

Ainsi, après une décennie consacrée exclusivement à expérimenter – avec talent – la technologie de la motion capture (Le pôle express, La légende de Beowulf, Le drôle de Noël de Scrooge), le retour de Zemeckis au cinéma en prises de vue classiques prend la forme d’un quasi remake de son dernier film réalisé de la sorte, Seul au monde. Flight et ce dernier ont la même ossature : un héros qui vit trop vite, trop fort, et qui à peine présenté à nous se trouve pris dans un accident signant la fin brutale et irréversible de cette façon de faire. Comme si à force de tirer excessivement sur la corde celle-ci ne pouvait que rompre, violemment. Puis, les deux récits suivent le travail d’acceptation par le héros déchu que son existence passée est révolue ; un deuil forcément lent et difficile, visant à faire place nette des débris pour se donner l’opportunité de repartir d’une page blanche. Cette idée d’un reset est le point final explicite de l’un et l’autre film – la croisée des chemins au milieu de nulle part dans Seul au monde, la très belle dernière réplique de Flight. En remontant un tout petit peu plus loin dans la filmographie de Zemeckis, Contact portait déjà en lui ce même thème (un système de pensée brusquement interrompu par un événement extérieur) et s’achevait au même point, quand son héroïne est prête à se mettre à la tâche d’ouvrir une nouvelle voie. Quand il s’intéresse aux humains en chair et en os, Zemeckis ne raconte plus que des histoires de transitions, non désirées et non maîtrisées.

L’idée du changement de vie ne pouvant s’opérer que de manière violente et contrainte semble obséder le cinéaste. La différence entre Flight et Seul au monde concerne le plan sur lequel s’opère ce bouleversement. Dans le second, les épreuves étaient d’ordre physique, la survie du corps et la préservation de la santé mentale faisant office d’allégories des conversions dans le comportement et la psychologie du personnage. Pour Flight, Zemeckis traite frontalement du sujet de la morale et des responsabilités individuelles. Ce qui se traduit visuellement, au sein du film, par l’emploi du point de vue subjectif du héros Whip Whitaker / Denzel Washington lorsqu’il est extrait de la carcasse de l’avion et transporté jusqu’à son lit d’hôpital. À partir de là, seule comptera son expérience intime. Une fois passé le choc de l’accident d’avion, proprement prodigieux (et presque vierge d’images de synthèse – tout est affaire de montage et de plans serrés dans le cockpit de l’appareil), Flight se circonscrit à une superposition de dilemmes éthiques, de plus en plus ardus, qu’il s’agit de résoudre seul avec sa conscience. Une formulation du plus prégnant d’entre eux pourrait être « Est-il moral de piloter un avion en étant complètement shooté à l’alcool et à la cocaïne, même pour quelqu’un de génial qui a rattrapé une situation désespérée, et sauvé la vie d’une centaine de personnes voire plus (le crash ne faisant « que » six victimes parmi les passagers, et aucune au sol) ? »

Flight tranche au final par la négative. Il apparaît donc comme porté par la conviction que ce qui n’est pas moral en soi ne peut jamais l’être en pratique, en fonction des circonstances. Être un pilote surdoué, ayant trouvé avec la cocaïne un contrepoison lui permettant d’être ultra-efficace et toujours meilleur que les autres malgré son alcoolisme aigu, ne rend pas tolérable moralement cet alcoolisme dont Whip est secrètement la proie. Dieu n’a rien à voir dans tout ça (contrairement à ce que j’ai pu lire dans certaines critiques négatives du film, que je trouve du coup à côté de la plaque), par contre Kant oui. La prise de position de Flight épouse entièrement l’éthique déontologique conçue par le philosophe. Il est tout à fait possible d’être soi-même en désaccord, partiel ou total, avec celle-ci (c’est mon cas) ; cela n’empêche pas le film de Zemeckis d’être convaincant dans ce qu’il avance, parce qu’il en est intimement convaincu. Tout n’y est pas parfait, il y a des aspects laborieux ou trop appuyés (entre autres le personnage de la junkie, pur artifice de scénario sans existence véritable) – c’est le risque quand on fait un film si entier, et sans filet. Mais les bons côtés les dépassent largement en nombre, et en portée ; de la bande-originale superbement inspirée à la prestation intense de Washington, de la manière dont les répliques claquent à la structure intelligemment bouclée du scénario, qui se conclut comme il a démarré, sur une épreuve dont Whip peut se tirer grâce à son mix alcool + cocaïne. Flight est un beau film, imparfait mais investi, et le rejeter pour ses seules convictions est aussi dommage que de rejeter une œuvre fondée sur la foi uniquement car on est soi-même athée.

3 réponses à “Flight, de Robert Zemeckis (USA, 2012)”

  1. De los Bosques dit :

    Je reste sr ma position concernant le côté trop « moralisateur » du film, qui cependant n’est pas 1 mauvais film parfois maladroit (ou excessif?) dans sa volonté de montrer ces « bad boys and girls » s’en sortir avec la bravoure et la volonté dont seuls les américains sont capables.
    Washington sort le grand jeu : superbe et son dealer attitré (le prof de Treme) est très bon aussi (et en plus il apporte toujours de la bonne musique avec lui…).

    D’accord sur la façon dont a été tournée la scène du crash : la tension dans le cockpit est extrême et contraste avec le calme de Whip.
    Quant au rôle de Dieu ;: il est cité plusieurs fois (le co-pilote à l’hôpital, le cancéreux, l’avocat qui le fait ajouté aux conclusions des expert (là c’est trop top… Air france devrait essayer au prochain crash); et enfin Whip à la prison

    Bon film mais trop de morale simpliste.

    • Erwan Desbois dit :

      Le « act of God » dont parle l’avocat n’est pas une question de croyance mais un terme purement technique, légal : http://en.wikipedia.org/wiki/Act_of_God
      D’ailleurs à la fin, dans la présentation des résultats de la commission, il est clairement établi que la cause de l’accident est tristement humaine (maintenance défectueuse, chasse aux petites économies).
      Quant à la scène avec le copilote, il m’a semblé que le héros se sentait pris au piège par ce couple de dévots, et que c’était à contrecœur, presque avec dégoût, qu’il prenait part contraint et forcé à leur prière.

      Le film suit une morale, avec laquelle on peut être d’accord ou non, mais je ne la considère pas si simpliste (Whip aurait tout à fait pu s’en sortir sans dommage, une fois de plus, et poursuivre sa vie telle qu’elle était ; c’est un choix compliqué et individuel qu’il fait)

  2. De los Bosques dit :

    NOTA : il est tout à fait juste et normal qu’il craque et reconnaisse son alcoolisme et sa mauvaise vie et soit condamné (apparemment courte peine et pas à perpet …. y a une justice)

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