• Endhiran – Robot, the movie, de Shankar (Inde, 2010)

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Où ?

Au forum des images, dans le cadre de l’Étrange Festival

Quand ?

Jeudi soir, à 19h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

L’engouement français pour les films en provenance de Bollywood il y a quelques années de cela s’était réduit à une éphémère bulle, le temps de voir passer en salles une poignée de films – Devdas, Swades, le génial Lagaan. On passe du coup à côté de ce qui a été une révolution là-bas l’année dernière : Endhiran, blockbuster dopé à la S-F et aux images de synthèse, plus gros budget et plus gros succès au box-office de l’industrie. L’équivalent indien d’Avatar, et dont l’exposition ici se limite pourtant à deux séances au cours de l’Étrange Festival[1]… C’est pourtant un spectacle grandiose, qui n’a rien à envier aux produits issus d’Hollywood, le bastion occidental du divertissement de masse, en termes de savoir-faire pour enflammer et subjuguer les foules.

Il y a quand même une heure délicate à passer avant de profiter sans retenue de la fête. Le plaisir est en effet d’abord bien gâché par la patine bling-bling qui recouvre le film dans son ensemble. Les deux acteurs principaux, « Superstar » Rajni et Aishwarya Rai, se donnent à peine la peine de jouer, et affichent ostensiblement que leur statut de dieux vivants les dispense de telles trivialités et suffit à leur valoir l’adulation du public. On est à deux doigts du foutage de gueule, surtout lorsqu’arrive le premier numéro de chant et de danse, du niveau d’un clip de tube de l’été de TF1 de l’époque où se commettaient de tels forfaits. Durant ce premier acte, Endhiran est plus proche du docu-fiction « Vis ma vie d’ultrariche à Neuilly-sur-Gange » que du mash-up délirant promis entre science-fiction et Bollywood. Rajni et Rai étalent la richesse clinquante de leurs personnages Vaseegaran et Sana (qui doit coïncider avec la leur vu comme elle semble naturelle), à coups de voiture de sport décapotable, de vêtements de luxe, de parures de diamants achetées par paires et de palaces immenses pour donner des réceptions. Même le robot humanoïde Chitti, conçu par Vaseegaran à son image, en fait les frais puisque tout surpuissant et omniscient qu’il est, il se voit réduit au rang de simple domestique de luxe – cuisinier, garde du corps protégeant de la bêtise et de la méchanceté des pauvres, dispositif de triche aux examens. Tant qu’Endhiran n’est pas plus qu’une comédie potache au pays des nantis, il est d’un intérêt très limité.

Et puis le déclic se produit, aux alentours de l’entracte, propulsant les deux derniers tiers du film sur une pente enfin extravagante et grisante. Deux détonations concomitantes sont à l’origine de la bifurcation du récit : la décision de permettre au robot d’apprendre à ressentir des émotions humaines – la passion, la jalousie, la colère – et un sérieux changement de braquet dans l’absurdité et l’irréalisme des situations. Le premier élément fournit enfin à Endhiran une ossature dramatique acceptable, avec la rivalité amoureuse aux proportions gigantesques entre le créateur et sa créature, qui se disputent les faveurs de la même femme. Le second apporte l’inspiration grâce à laquelle les péripéties successives venant se greffer sur cette intrigue se transforment en perles étincelantes et/ou délicieusement stupides, au choix. Ça démarre avec un accouchement à complications où les yeux bioniques de Chitti nous permettent (ainsi qu’à toutes les personnes présentes dans l’hôpital) de voir le fœtus in utero ; puis un affrontement abracadabrantesque entre ce même Chitti et une nuée de moustiques portant chacun le nom de la maladie qu’ils transmettent. Le fœtus, les moustiques sont en images de synthèse, mais l’utilisation qui est faite de celles-ci par les indiens est des plus cartoonesques – colorées, survoltées, détachées de tout souci de réalisme. On sent un véritable ravissement enfantin, ludique à avoir mis la main sur cet outil, qui rapproche le cinéma d’une boîte géante de pâte à modeler fluo. Cet esprit neuf habite toutes les scènes à effets spéciaux, mais il se diffuse également à toutes les autres parties du film. Il y a ainsi un gouffre entre le si pauvre premier numéro de chant et de séduction entre Vaseegaran et Sana évoqué plus haut, et le second qui se déroule au sommet du Machu Picchu, avec force danseurs locaux et lamas (!). Les chansons en duo entre Sana et Chitti cette fois sont encore un cran au-dessus, avec leurs designs et chorégraphies technoïdes incrustant dans l’univers Bollywood de fortes doses de Daft Punk et de R’n’B soft porn. Le cocktail est si corsé qu’il ne fait plus aucun doute que le compositeur fou A.R. Rahman a une fois pour toutes fondu un fusible.

En cela, il ne fait que se mettre au diapason du véritable moteur de cette partie du film qu’est Chitti. C’est lui qui prend les initiatives, provoque les duels, impulse les brusques changements de direction du scénario. Et ce leader est un patchwork invraisemblable de ce que le cinéma hollywoodien récent a généré de plus déjanté et mégalo comme personnages : l’agent Smith de Matrix, le Joker de The dark knight, Derek Zoolander, etc. Une fois engagé dans cette voie de la toute-puissance et de la rancune infinie de son méchant, le script d’Endhiran progresse par effet boule de neige. Chaque scène se doit d’être plus grandiloquente, plus hystérique, plus renversante que la précédente. A partir du moment où Chitti trouve le moyen de se démultiplier et met sur pied son armée maléfique et invincible, tous les obstacles à cette ambition démesurée sont abolis et la dernière ligne droite se court comme un sprint endiablé tandis que des feux d’artifice explosent de part et d’autre de la piste. On oublie alors volontiers les défauts à l’allumage d’Endhiran, pour ne plus y voir qu’un colossal spectacle de foire, dans ce que ce genre peut avoir de plus noble ; quand se dégage une communion franche et immédiate entre l’œuvre et son public.

[1] Le film est apparemment également récupérable assez aisément selon des voies parallèles, que la morale et le label « pur » réprouvent. Je dis ça, je ne dis rien

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