• Cycle Palmes d’or : Le salaire de la peur, de Henri-Georges Clouzot (France, 1953)

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Quelle année ? 
1953

Quoi de spécial ?
La 1ère des 7 palmes d’or françaises, dont 6 ont été concentrées entre 1953 et 1966. Par ailleurs, Le salaire de la peur a réalisé une moisson de prix impressionnante : prix
d’interprétation à Cannes pour Charles Vanel en plus de la Palme, Ours d’or à Berlin, et BAFTA (les César anglais) du meilleur film étranger.

Et alors ?

Le salaire de la peur est un jeu mortel à 3 participants : la nature, la puissance humaine et 4 hommes. Ces derniers sont les 4 chauffeurs qui ont accepté de se relayer au
volant de 2 camions remplis de nitroglycérine, laquelle doit être amenée jusqu’à un puits de pétrole en flammes – le souffle de l’explosion de la nitro éteindra d’un seul coup l’incendie, comme
on l’a vu dernièrement dans There will be blood.
Mais pour cela, il faut éviter que la nitro n’explose en cours de route… ce que le moindre cahot ou freinage brusque suffirait à provoquer.

Le scénario pousse l’affrontement entre la Terre et la technologie tellement loin dans l’allégorie qu’il est étonnant de voir Clouzot prendre tant de temps avant de lancer cette partie du récit.
Les scènes d’exposition des personnages, un amalgame cosmopolite de perdants échoués dans un trou paumé d’Amérique du Sud, et de l’ambiance qui règne dans ce village – en particulier une chaleur
étouffante et propice au laisser-aller – ne sont pas mauvaises en soi, mais elles sont beaucoup trop longues. Presque 3/4 d’heure y sont consacrés alors même que la suite du récit coupe
complètement les ponts une fois le quatuor principal lancé à bord de leurs engins de mort.

Chacun des 4 héros est le fruit d’un remarquable travail d’écriture et de distribution. Le duo central est bien sûr celui formé par Mario (Yves Montand) et Jo (Charles Vanel), mais l’italien
Luigi et l’américain Bimba qui conduisent l’autre camion sont des personnages secondaires tout à fait réussis, qui complètent les premiers rôles tout en ayant leur existence et leur complicité
propres. La présence physique et l’attitude complémentaires des 2 acteurs y sont pour beaucoup, entre la gouaille rieuse de Folco Lulli et les traits anguleux de Peter Van Eyck – ce dernier étant
une préfiguration étonnamment proche du personnage de Rutger Hauer dans Blade runner.

Le cœur du Salaire de la peur est donc la relation complexe et foisonnante entre Mario et Jo, qui se croyaient meilleurs amis et dont cette aventure inhumaine va révéler les
vraies natures. Héros maudits de tragédie écrasés par les forces qui les entourent, ils choisissent chacun un camp opposé : Jo, vieux de la vieille qui a bourlingué un peu partout, est prêt
à chaque instant à baisser les bras et à se plier à la force majestueuse de la Nature ; en réaction à quoi Mario, jeune roquet plein d’assurance et de morve à l’égard de tout ce et de tous
ceux qui l’entourent, prend de plus en plus nettement le parti des « machines » au fil des péripéties, jusqu’à faire presque corps avec son précieux et puissant camion.

En appliquant en plein désert et sous le cagnard des recettes qu’on a plutôt l’habitude de voir dans les films noirs urbains et nocturnes, Clouzot crée autour du franchissement de chacun de ces
obstacles un suspense tétanisant et létal. Du chemin de sable balayé par les vents et transformé en tôle ondulée à un énorme rocher bloquant la voie, en passant par une route de montagne aux
virages en épingle quasi impossibles à prendre, chaque séquence est tendue jusqu’à l’extrême dans sa longueur comme dans sa intensité. Un découpage sans concession et des plans fixes d’une
violence sèche montre comment l’être humain, dans son statut intermédiaire, est à la merci aussi bien des plus petits détails (un cahot sur la route, un pneu qui flanche) que des imposants lieux
traversés et moyens empruntés pour le faire. La raréfaction des dialogues, réduits à une fonction purement utilitaire au cours de ces scènes, rend les personnages encore plus fragiles.

A mesure qu’approche le but du parcours, ce puits de pétrole dévoré par la furie de flammes gigantesques et qui semble appartenir à une autre planète, Mario et Jo deviennent 2 exemples d’une
humanité bien plus insignifiante qu’elle ne le croit, lorsque la nature et la technologie semblent finalement s’allier contre elle dans un ironique renversement. Une fois engagés dans cette
bataille, qu’ils soient effrayés ou arrogants, que ce soit dans une mare de pétrole (dans une scène qui montre que le cinéma n’avait pas attendu There will be blood pour découvrir
la puissance visuelle de ce liquide) ou d’un coup de volant trop confiant, seule la mort est au bout du chemin. Comme dans les plus noirs des films noirs.

Une réponse à “Cycle Palmes d’or : Le salaire de la peur, de Henri-Georges Clouzot (France, 1953)”

  1. Daniel dit :

    Erreur:Bimba incarné par Pierre Vaneck est allemand et non américain.
    J’ai une pensée pour l’acteur P.Vaneck qui vient juste de décéder…!