• Conjuring : les dossiers Warren, de James Wan (USA, 2013)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles, dans l’une des trois grandes salles (pleine)

Quand ?

Dimanche, à 18h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Il y a trois manières de voir Conjuring. La première est de considérer le contrat rempli : celui de faire peur, et de le faire bien. De ce point de vue pas de doute, James Wan étale un savoir-faire dont peu d’autres peuvent se prévaloir, et que beaucoup doivent lui envier. Grâce à son réalisateur Conjuring jouit d’une mise en scène remarquable, réfléchie, et de ce fait diaboliquement inventive dans les détails autant qu’efficace sur la durée. Les choix de Wan sont constamment guidés par la question du point de vue (de qui/quoi la caméra est-elle le regard ?), centrale dans le cinéma et plus particulièrement encore dans le cinéma d’horreur où tout repose sur ce que l’on voit ou ne voit pas, ce qui apparaît et disparaît. Conjuring est fort car Wan ne triche jamais : tous ses plans épousent le point de vue d’un personnage, humain ou non. Ce qui lui permet quelques tours malicieux, mais en aucun cas superflus (par exemple la caméra qui se retourne en même temps que la tête d’une fille ayant regardé sous son lit) ; et surtout lui donne matière à une entière maîtrise des frayeurs et de l’encéphalogramme du public.

Le cinéaste opère en chef d’orchestre, les personnages ayant valeur d’instruments. Il change sans cesse leur importance, les plaçant alternativement au premier rang, celui de témoin qui nous prête ses yeux, d’« enregistreur » de la scène – ou d’un bout de scène, Wan n’hésitant pas à basculer sans crier gare d’un regard à un autre pour tirer de ce décollement un pic de terreur. Suivant cette voie, une brèche quasi « méta » s’ouvre dans Conjuring. À force d’accentuer, par ses séquences horrifiques longues et variées (bien plus que la moyenne), la puissance de l’esprit maléfique qui hante la maison, le film en arrive à donner le sentiment que c’est ce dernier qui tient les rênes de l’histoire ; qui en écrit le scénario. Pendant longtemps – jusqu’au renversement bâclé de la conclusion – les humains ne sont rien de plus que ses pions, qu’il manipule à sa guise dans ses constructions de scènes. Scènes que le cinéma est là pour enregistrer, ce dont les caméras utilisées par les héros enquêteurs (et dont certaines images sont reprises telles quelles par le film) sont la symbolisation explicite.

Deuxième approche de Conjuring, moins favorable : le verre à moitié plein, à moitié vide. Oui, le film divertit en nous faisant joyeusement frémir et sursauter, mais n’y avait-il pas moyen de viser plus haut ? Précisément parce que Wan démontre qu’il possède dès maintenant le talent adéquat. La bonne surprise de le voir progresser selon une courbe spectaculairement ascendante, depuis l’insupportable Saw en passant par l’inégal Insidious, est contrebalancée par la déception née du fait qu’il se contente de faire le boulot ; de suivre à la lettre le manuel du petit faiseur de scare jumps, sans plus. La manière qu’a le film d’épouser une formule feuilletonesque (une enquête piochée parmi les dossiers fournis d’un duo d’enquêteurs, mis en danger personnellement à la marge de l’aventure) renforce cette frustration. Ce que Conjuring raconte en 1h50, des dizaines d’épisodes de séries tv façon X-Files en faisaient leur affaire en quarante minutes. Même s’il n’y a pas de longueur à fustiger dans le film, on est en droit de regretter que son heure supplémentaire ne soit pas mise à profit pour un développement plus en profondeur.

Les personnages de Conjuring restent ainsi tristement superficiels, sans aucun enjeu conséquent qui leur soit rattaché. Ce qui ramène au côté « méta » du film évoqué plus haut, et conduit à la troisième façon de le regarder – la plus rude pour lui. Si on le compare à L’exorciste, matrice du genre, Conjuring fait malheureusement très pâle figure. Le second nommé suit le même plan que le premier, mais il en délaisse la composante la plus importante : la représentation franche et radicale du Mal. Conjuring est lisse, sans aspérités, presque propre sur lui et en ce sens presque un non-film d’horreur. Son obsession (qui est bien la seule) à ne jamais pénétrer ni brutaliser les chairs et les âmes des personnages trahit une volonté commerciale de rester accessible au plus grand nombre, en ne bousculant personne. C’est la même logique que celle à l’œuvre dans World war Z vis-à-vis du film de zombies, sauf qu’ici l’argument du box-office ne tient pas – en son temps L’exorciste fut un immense succès public.

[spoiler dans ce qui suit]

La possession de la mère par la sorcière est symptomatique du manque de courage de Conjuring. À peine a-t-elle eu lieu que l’on passe directement à l’exorcisme (réussi), sans s’attarder un instant sur la contamination du personnage par le Mal. On est à des années-lumière des crucifix dans le vagin, et autres atrocités passant par le corps et la bouche d’une gamine de douze ans. Subversion et ambiguïté n’ont pas droit de cité dans Conjuring, dont la morale imposée de part en part (avec comme point d’orgue son édifiant happy end) est celle du triomphe de l’ordre ancien : pieusement catholique, tranquillement machiste. Les hommes ont les solutions et la position dominante, les femmes sont des victimes fragiles et une source constante de problèmes ; les premiers travaillent, les secondes doivent avoir pour but fondamental le bien-être de leur famille, la bonne tenue de leur foyer. Être une mère avant tout, et ne pas être une mère parfaite c’est prêter le flanc au démon (rien que ça). Mieux vaut s’en tenir à l’aspect purement divertissant de Conjuring, et fermer les yeux sur ce qui lui sert de prétexte au déclenchement de cette récréation.

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