• Cloclo, de Florent-Emilio Siri (France, 2012)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Dimanche, à 13h30

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Cloclo est un très bon biopic. C’est toujours un peu une surprise, pour ce genre ingrat et semé d’embûches. Cela l’est encore plus dans le cas présent, au regard du sujet à l’envergure limitée (une icône du star-system musical dont le destin ne dit rien de fort sur son époque, ou sur des thèmes plus vastes), et de la tendance actuelle du cinéma français à transformer tout biopic en machine de guerre bodybuildée et clinquante mais sans âme. A en faire des produits et non des films. Cloclo est un film, en cela que l’on y sent la présence, l’engagement et les velléités du réalisateur qui l’a fait. Celui-ci est Florent-Emilio Siri, qui un peu comme Joe Carnahan (auteur de l’excellent Territoire des loups vu tout dernièrement) avait fait parler de lui il y a dix ans tout rond avec un remarquable film d’action en huis clos, Nid de guêpes, avant de se perdre dans des projets malheureux – une pige hollywoodienne au chevet d’une star vieillissante (Otage avec Bruce Willis), un pensum sur la guerre d’Algérie qui se prend les pieds dans la contradiction entre action spectaculaire et propos polémique (L’ennemi intime). Avec Cloclo Siri revient au premier plan car il y fait ce qu’il sait faire : mettre en scène l’action, le mouvement, l’énergie, cette fois sans rien d’autre venant interférer avec ce programme simple et franc.

Il est évidemment plus qu’étonnant que ce soit dans l’exécution d’un biopic de commande que Siri retrouve une telle émancipation. La raison en est que Cloclo ne s’aligne pas sur l’attitude d’empathie tyrannique si répandue au sein de son genre. Il n’use pas du cinéma comme d’un moyen de contraindre son public à aimer, comprendre, ou pardonner son héros. Il observe ce dernier avec une neutralité idéale, qui nous laisse un total libre-arbitre dans notre rapport à lui. Ceux qui veulent se poster en fans le peuvent. Mais une autre voie est ouverte par la règle que se fixe le film de ne rien passer à son personnage et, dans le traitement de ces aspects peu reluisants, de ne rien modérer. Cloclo ne part pas à l’assaut à fleuret moucheté, ses coups sont envoyés pour atteindre leur cible là où ça fait mal. Claude François est présenté dans tout ce qu’il avait de mégalo, macho, parano, hargneux, maniaque du détail, obnubilé par son succès et maladivement jaloux de celui des autres. Contrairement à ce que peut faire croire cette liste il n’est pas non plus question d’un portrait à charge ; le film prend Claude François tel qu’il était, mais sans l’accuser d’être ce qu’il était. Il observe et relate, dans une sorte de procès-verbal se tenant à la bonne distance.

Il en ressort un portrait surprenant et sans fard, qui tient du démontage des rouages d’une idole fabriquée pour se hisser au sommet puis y rester coûte que coûte. Que le cerveau œuvrant en coulisses et l’automate offert à l’hystérie de la foule soient une seule et même personne rend le cas de Claude François encore plus captivant. Plus âpre aussi. Il n’est jamais question d’art au cours du récit, qui n’implique ni magie de l’inspiration ni besoin irrésistible d’un individu d’exprimer ses émotions profondes. Cela nous évite les scènes tarte à la crème du biopic artistique que sont ces montages maladroits cherchant précisément à percer le mystère de l’une et l’autre. Au contraire, Siri prend même à plusieurs reprises un plaisir acide à révéler le gouffre entre les cajoleries fredonnées par Claude François le chanteur et la brutalité dont est capable Claude François l’individu ; par exemple en passant « Comme d’habitude » en fond sonore d’une séquence où il poursuit en voiture une femme qui l’a rejeté et finit par lui faire avoir un accident. Les compositions du personnage ne le définissent pas, elles ne viennent pas de lui mais des goûts des consommateurs auxquels elles tendent une réponse toute prête. Ce sont des tubes et non des chansons dès leur conception. Et Claude François est un homme d’affaires, un « patron » (le terme est prononcé dans le film) et non un artiste.

Sa petite entreprise, qui a la phobie de la crise, repose sur l’adéquation entre sa personne publique et le désir du public. La combinaison explosive entre cette peur panique et une réussite matérielle sans égal (dont découle un territoire toujours plus vaste à défendre contre la concurrence) fait du chanteur, dans son domaine, une figure comparable à celle d’un dealer façon Tony Montana de Scarface, ou d’un politicien aux dents longues façon NotrePrésident. A la fois rebutante dans les buts qu’elle poursuit – le rabaissement de tous, proches y compris, au rang de subordonnés corvéables et jetables ; le contrôle obsessionnel de son image et de son apparence ; la croyance fondamentale dans la valeur d’achat des choses et les signes extérieurs de richesse – et fascinante de par les moyens colossaux qu’elle est en mesure de mobiliser pour les atteindre. Siri fait de Cloclo un beau film sur un protagoniste si ambigu parce que 1/ il met cette ambiguïté dans le cadre (parfois crûment, voir le passage du « piège à gonzesses » revendiqué qu’est l’agence de mannequins) et 2/ il se concentre sur autre chose. La force prodigieuse de la nature, le monstre de volonté et d’énergie qu’était Claude François, triomphateur car capable de repousser son point de rupture bien plus loin que n’importe lequel de ses rivaux.

La voilà, l’énergie qui sied si bien au cinéma de Siri. Claude François en est le générateur unique et infini, le réalisateur se branche en direct dessus pour propulser son film dans un mouvement incessant. Et souvent étourdissant, que ce soit par l’usage, toujours à bon escient, de plans-séquences, de cadrages serrés, ou de découpages syncopés de sommes d’actions prenant place sur quelques heures. Siri filme depuis l’œil du cyclone le tourbillon provoqué où qu’il passe par le chanteur. Il révèle le vampire émotionnel qui se nourrit de la ferveur aveugle de ses groupies, le manipulateur poursuivi par ses mensonges (l’apparition de son second fils caché au monde, traitée comme venant d’un film de fantômes), le chef de guerre qui ressort plus fort de chaque bataille. Sensiblement invincible aux attaques humaines, il sera terrassé par une banale applique murale de salle de bains. La séquence en question voit Siri parachever son bel ouvrage de mise en scène, inspiré, jamais platement illustratif ou sommairement bâclé. Il traite cette scène de la douche comme un écho de la plus célèbre d’entre toutes, celle de Psychose : même suspense, même inflexibilité. De quoi faire oublier qu’une fois que la mort a frappé, dans ses dernières minutes le film cède un peu aux sirènes de la célébration et des trémolos.

Laisser un commentaire