• Capitaine Phillips, de Paul Greengrass (USA, 2013)

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Où ?

Au MK2 Quai de Loire

Quand ?

Jeudi soir, à 19h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Capitaine Phillips est un ratage du genre intéressant, car en aucun cas causé par un manque de talent. Tous ses principaux éléments ont déjà fait leurs preuves par ailleurs (Paul Greengrass de Bloody Sunday à Vol 93 et La mort dans la peau, Tom Hanks partout où il est passé, le théâtre des opérations somalien dans La chute du faucon noir), et se montrent une fois de plus à la hauteur dans le cas présent. Mais ils sont malgré cela incapables de rectifier le tir d’un film qui souffre un peu d’une fausse bonne idée, et beaucoup d’un problème fondamental qui le dépasse. La fausse bonne idée est justement d’avoir fait appel aux services de Greengrass pour mettre en scène cette histoire d’abordage d’un cargo, qui tourne à la prise d’otage de son seul capitaine. Greengrass est très bon dans le feu de l’action – les deux tentatives des pirates de monter à bord du navire en sont de parfaits exemples – mais d’action, ici, il y en a en réalité très peu. Les affrontements étant toujours fortement déséquilibrés, en plus d’être contraints par les circonstances de bataille navale en haute mer, les belligérants passent la quasi-totalité de leur temps à attendre, ou temporiser, et seulement une poignée de minutes à charger. Dans ces longues phases statiques les enjeux sont différents, et une autre mise en scène s’impose, comme le montre involontairement Greengrass de par son incapacité à développer l’aspect psychologique de la situation.

Le gros accroc de Capitaine Phillips est cependant ailleurs. Il est impossible pour le film, conçu au cœur d’Hollywood, d’être dans le camp des somaliens – la conscience humaniste de gauche de Greengrass se voit allouer une minuscule poignée de plans et de dialogues, à la marge du récit, pour y murmurer que les pirates le sont par désespoir et non par vice. Néanmoins, et c’est là plus surprenant, Capitaine Phillips éprouve les mêmes difficultés à se ranger aux côtés des américains. Dès lors qu’ils envoient la cavalerie à la rescousse du héros pris en otage, peu importe comment on tourne les choses chaque image ancre les USA dans le rôle de l’empire invulnérable et inflexible matant d’impuissants rebelles. Le rapport de force évoque la situation du premier (l’épisode 4, donc) Star wars, avec d’un côté quatre pirates enfermés dans un canot – boîte de conserve ballotté par les vagues, sans rien à manger ni à boire et armés d’une kalachnikov chacun ; de l’autre, trois immenses croiseurs avec à leur bord des Navy Seals (l’équivalent des Marines) par dizaines, des hélicoptères, des drones, des snipers, des caméras infrarouges, etc., etc. Étant donné que Capitaine Phillips raconte une histoire vraie et non une rébellion épique, il devient évident à l’instant où s’établit cette confrontation déséquilibrée à l’extrême entre américains et soudanais que les premiers vont l’emporter sans mal ni perte.

Le suspense tombe à l’eau, pire encore plus cette seconde partie traîne en longueur, et plus le siège des kidnappeurs tourne au jeu pervers d’un chat faisant durer le plaisir avec une souris à demi morte. En tant que fiction cinématographique, Capitaine Phillips souffre donc grandement de se retrouver piégé dans ce no man’s land, ni avec les uns, ni avec les autres. Mais à son corps défendant, il possède une indéniable valeur documentaire au travers de sa description détaillée de ce qu’est aujourd’hui l’armée américaine. Involontaire mise en application, sur un cas concret, de l’excellent essai Théorie du drone de Grégoire Chamayou, Capitaine Phillips expose une machinerie pénétrée par la technologie dans tous ses rouages au point de perdre toute composante humaine. Cette dernière se trouve exclusivement à bord du rafiot soudanais, chez les pirates et leur otage. Aucune des figures américaines que nous introduit la seconde moitié du film ne mérite le qualificatif de personnages : elles ne sont rien d’autre que des robots déshumanisés. Cela vaut même pour l’infirmière de la fin, ce qui prive de manière assez bizarre Capitaine Phillips de la détente et de l’apaisement que l’on s’attend à ressentir lors du dénouement heureux d’une prise d’otage. Ici, l’otage a réintégré les rangs de l’empire froid et militarisé, après avoir entrevu les restes indigents d’une humanité foulée aux pieds.

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