• Cannes, 21 mai (2ème partie) : Ai to Makoto, de Takashi Miike et Runaway train, d’Andrei Konchalovsky

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Rappel de la fin de l’épisode précédent : j’interrompais mon compte-rendu de la journée de lundi afin de me rendre au Grand Théâtre Lumière pour la séance spéciale de minuit : Ai to Makoto, de Takashi Miike. Le cinéaste le plus prolixe en activité (crédité de 88 réalisations alors qu’il fêtera ses 52 ans cet été) signe là une de ses œuvres les plus chaotiques et dérangées. Non pas que Miike soit d’ordinaire un modèle de tenue et de précision, mais il se tient le plus souvent assez fidèlement à la règle « un film = un genre » (thriller, horreur, gore, drame, etc., le bonhomme ayant à peu près tout fait). Règle que Ai to Makoto fait voler en éclats par son accumulation frénétique de lignes directrices, de tonalités, d’atmosphères, de références. La première moitié du film est un feu d’artifice encore plus déjanté que ce que l’on pouvait anticiper, Miike partant d’entrée en surrégime narratif et plastique – et parvenant à garder la maîtrise de sa machine effrénée. Sur les deux plans du récit et de l’image le bon goût (trame très classique façon West Side Story chez des lycéens japonais, composition des cadres, des décors et des mouvements d’appareil folle et belle à pleurer) y est mis au service du mauvais, à moins que ce ne soit l’inverse. La perplexité dans laquelle nous plonge ainsi le film quant à son horizon, sérieux ou parodique, et le degré de lecture à lui appliquer, est sa plus grande réussite. Elle confine au génie (tordu, je vous l’accorde) dans les scènes de comédie musicale, qui juxtaposent sans les relier deux attitudes opposées : la personne qui chante vit à fond sa mélodie, tel un héros de comédie musicale d’antan, et les autres protagonistes l’observent avec le recul et l’incrédulité d’un pastiche postmoderne. Et nous, public, observons tout cela avec un mélange de sidération et d’indécision quant à la place à prendre.

Malheureusement, Ai to Makoto perd un peu de son éclat par la suite. Ses bouffées délirantes se font plus intermittentes et moins puissantes dès lors qu’il semble plier sous le poids du devoir : conclure une histoire, remplir un cahier des charges, exprimer vis-à-vis du spectateur une identité et une finalité plus explicites. Il faut savoir que Miike n’a pas une situation d’auteur libre de ses faits et gestes, ses films sont pour l’essentiel des commandes dans le cadre desquelles il se trouve aux ordres d’un chef. D’où certainement ce mouvement de retour dans le rang qui s’opère dans la dernière heure du film, vers un mélo plus ordinaire et empesé. Foutraque et en dents de scie, Ai to Makoto concentre finalement assez bien les contradictions et les spécificités de son réalisateur. Une œuvre somme, à défaut d’être d’une œuvre qui déraille définitivement.

Un autre film ne déraillant pas, mais pour lequel il s’agit du plus beau des compliments, est Runaway train que j’ai vu lundi en fin d’après-midi, avant Ai to Makoto. Ce long-métrage datant de 1985 est une des œuvres les plus singulières de cette décennie : un synopsis de produit d’action hollywoodien (deux hommes piégés à bord d’un train sans conducteur et lancé à toute allure sur les voies), deux acteurs de séries B (Jon Voigt et Eric Roberts), mais une histoire initialement conçue par nul autre qu’Akira Kurosawa et reprise par un russe, Andrei Konchalovsky. Le résultat combine le meilleur des deux mondes, des auteurs et du divertissement, l’efficacité concrète du second et l’ambition tragique du premier. Le récit est fait tout en intransigeance, sans détours ni reculades, et sa traduction formelle est encore plus dure au mal que ses personnages, et que leur monde du cinéma d’action mâle de cette période. C’est par cette souffrance et cette exigence que Runaway train parvient à transpercer ce cinéma superficiel et de poudre aux yeux, pour le contraindre à révéler la part de drame violent qui se trouve enfouie dans ses profondeurs. Dépossédé de sa jouissance, de sa malice, un film d’action redevient une tragédie pure, déchirante, au dénouement bouleversant et inoubliable (je n’avais vu le film qu’une seule fois, à la tv il y a au moins quinze ans de cela, et me souvenais encore nettement du plan final). Et non dénuée d’ironie, au travers de ce thème du déraillement : les deux héros, après avoir fait déraillé au sens figuré la destinée qui leur était promise (ils étaient des détenus aux très longues peines dans une prison dont ils parviennent à s’évader), se retrouvent dans la seconde moitié du film à prier pour qu’on les sauve du déraillement du train fou. Runaway train est un chef d’œuvre méconnu des années 80, à découvrir absolument.

2 réponses à “Cannes, 21 mai (2ème partie) : Ai to Makoto, de Takashi Miike et Runaway train, d’Andrei Konchalovsky”

  1. moi ton père dit :

    et toujours rien sur la journée du 22 ? je formule ma demande le 23 à 19h41 …… y a du relachemen :-)

Répondre à moi ton père