• Cannes, 17 mai : The we and the I de Michel Gondry

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A Cannes, il y a une chose à laquelle on passe encore plus de temps qu’à voir des films quand on n’est un pas grand-chose : faire la queue. Et s’il y a un point où la vie au Festival rejoint la vie réelle, c’est que l’on est rapidement un pas grand-chose. Les badgés « Cannes Cinéphiles » comme moi, bien sûr, mais aussi les simples « accrédités Festival », les membres de la presse n’ayant que des cartes de couleur jaune, orange, ou même bleue pour certaines séances particulières (j’y reviendrai).

Par exemple, ce jeudi matin, pour la projection prévue à 10h du nouveau film de Michel Gondry, The we and the I, il fallait arriver avant 9h pour avoir l’assurance d’une place dans la salle. The we and the I, qui fait l’ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs, est en premier lieu une démonstration supplémentaire de la plus grande qualité de Gondry, son éclectisme fébrile et toujours surprenant. Touche-à-tout vibrionnant, l’ex-clippeur alterne réalisations françaises et américaines, à budget gros ou tout petit, allant chercher vers l’onirisme ou le documentaire. Ces différentes briques, il les rattache et les dispose au gré de son inspiration du moment, sans se soucier de règles pré-établies ou de notices d’emploi. The we and the I s’inscrit dans la lignée d’un de ses petits films méconnus, Block party consacré à un concert de quartier dans Brooklyn. Il en est plus ou moins la suite, faisant deux légers pas de côté – de Brooklyn au Bronx, et du documentaire à la fiction. On y suit le dernier trajet en commun dans le bus scolaire d’un groupe d’ados, avant les vacances d’été. Cette triple unité, de lieu, de temps et d’action est une amorce géniale, déclenchant un démarrage en fanfare nourri à l’énergie adolescente sous sa forme la plus pure. L’inspiration documentaire (les acteurs, tous amateurs, interprètent des rôles que l’on suppose proches d’eux-mêmes, à la façon de la série Skins) sied vraiment bien à Gondry, elle lui donne toujours ses plus beaux personnages. Ici ses ados sont vrais, complexes, bêtes et méchants pour les uns, renfrognés et marginaux pour les autres, mais tous passionnants et pris pour ce qu’ils sont, sans aucun jugement ou sentence dans quelque sens que ce soit. Le film est dénué de toute forme de déterminisme trop sévère, sociétal ou moral, c’est réjouissant. De plus au contact d’eux, de leurs crasses et autres incivilités gratuites, le cinéma de Gondry le gentil garçon s’endurcit, se fait plus mordant. Mais pas encore assez pour le sortir de sa bulle de délicatesse, ainsi que le prouve la dernière demi-heure où le metteur en scène reprend un peu trop ouvertement et maladroitement le contrôle de ses protagonistes. A mesure que leur nombre diminue et que leurs identités dissimulées s’affirment (le passage du « we » au « I » énoncé dans le titre), il les fait rentrer dans des cases de scénario attendues, convenues même en voulant tous les tirer vers le haut – ce dont ils n’avaient nul besoin. Cette velléité de les mettre au service d’une histoire, d’un propos, les dévitalise en partie. Elle prouve par ailleurs, une fois de plus, que Gondry éprouve toujours plus de difficultés avec le drame intimiste qu’avec la comédie foutraque et de bande.

Après cette première journée mon compteur de films reste bloqué à 1 (alors que du côté de chez KABOOM ils semblent déjà en être à 17), car je n’ai pas pu entrer à la séance d’ouverture de la Semaine de la Critique, le film anglais Broken. Je n’ai pas été le seul, loin de là : aucun badge Cannes Cinéphiles ou Professionnel n’est rentré, et à peine la moitié des journalistes, même les porteurs de cartes bleues. Voilà comment on finit la journée avec 2h de queue pour 1h45 de film.

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