• Café de Flore, de Jean-Marc Vallée (Canada-France, 2011)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles, en avant-première

Quand ?

Mardi soir, à 21h30

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

C’est forcément décevant quand une compétition s’achève à peine commencée. Quand tout suspense est évacué dès le passage d’un des tous premiers concurrents. Quand on sait bien, au fond de soi, que les suivants passeront parce que c’est prévu et qu’on ne va quand même pas tout annuler, mais sans espoir réel de bousculer la hiérarchie. Voilà où en est en ce 25 janvier (janvier ! le premier mois de l’année n’est pas encore achevé !) la lutte pour la tête du Classement à l’envers[1] des films de 2012, suite au coup de massue provoqué par le débarquement de Café de Flore. Plus que fort il faudra être immense, galactique, pour le déloger du trône de navet de l’année. Car Café de Flore déploie un jeu complet, sans faille, solide et puissant dans tous les compartiments.

Son réalisateur Jean-Marc Vallée était pourtant un outsider à forte cote dans la liste des engagés au départ. Son pantouflage hollywoodien Victoria, les jeunes années d’une reine était passé inaperçu et avant cela, son dernier film personnel en date, C.R.A.Z.Y., constituait une surprise plutôt bonne, où les qualités prenaient confortablement la mesure des quelques défauts. Mais Vallée a adopté une stratégie pleine d’audace et résolument offensive pour damer le pion à tous ses rivaux : remiser toutes les qualités au placard, ne garder que des défauts, les accentuer autant que possible. Ses intentions et sa volonté d’en découdre sont évidentes dès les premières minutes du film, où se déploie une superbe combinaison de voix-off faisant platement les présentations et de ralentis inutiles et prolongés, ouvrant grand la voie à toute une série d’autres effets piochés parmi les meilleurs classiques du manuel de chevet de tous les postulants au Classement à l’envers. Tout le temps que dure sa prestation Café de Flore ne dévie pas d’un pouce de cette esthétique de pub ou clip de bas étage, démultipliant les simagrées en tous genres, provoquant régulièrement le vertige lorsqu’il refuse de quitter une séquence tant qu’il n’a pas épuisé toutes les possibilités de la dégrader visuellement (et le spectateur avec). Une telle persévérance à empiler les tics en toc force le respect.

Sur le fond, il n’y a rien à redire non plus : Café de Flore est une irrésistible fusée à deux étages. Vallée relie ses récits parallèles d’abord par la musique, puis par le mysticisme, avec un même brio. Les histoires en question sont déjà bien chargées en soi – à ma droite une mère courage élevant seule son fils trisomique à Paris en 1969, à ma gauche un DJ branchouille à la vie matériellement idyllique dans le Montréal d’aujourd’hui, qui se fait des nœuds au cerveau pour savoir s’il a bien fait ou non de quitter la mère de ses enfants pour une autre femme. Vallée sait se montrer à la hauteur de cette belle matière première de mélo éléphantesque et affecté. Il endosse pour commencer les habits d’un Cameron Crowe du pauvre, en se piquant de réaliser un film mû par la musique tout en n’ayant aucun sens de comment filmer la musique. La bande-son est dans sa quasi-totalité un bouillon d’easy listening parfaitement fade, et les quelques chansons qui surnagent se voient massacrées par le montage (Svefn-g-englar de Sigur Ros – présente d’ailleurs dans Vanilla sky) ou par la reprise qui en est faite (Le vent l’emportera de Noir Désir). Cette inadéquation totale entre ses moyens et ses ambitions met Café de Flore sur les rails du succès. L’occasion est trop belle, Vallée n’a pas le droit de la laisser passer, il le sait, et donne le coup de grâce dans une dernière demi-heure où il délaisse Crowe pour une autre influence bien plus prestigieuse, à même de le porter vers les sommets – David Lynch.

La justification du lien entre les deux parties si disjointes du scénario est digne de l’auteur de Mulholland Drive et Lost highway ; la façon dont elle est amenée, décortiquée, pressurée jusqu’à la dernière goutte (le plan final, absolument effarant) ne l’est pas. Ceux qui se plaignent de ne jamais rien comprendre aux constructions mentales de Lynch seront aux anges, Vallée étant dépourvu de toute propension à la subtilité, à la suggestion. Les jurés du Classement à l’envers sont eux aussi aux anges, car il est rare de voir un film se jeter ainsi corps et âme dans une filière qu’il ne maîtrise absolument pas. Foncer droit dans le mur, qui plus est avec panache – il en faut pour [spoiler] affirmer que des enfants nés trisomiques ont finalement tout intérêt à être tués jeunes dans un accident de voiture, et ainsi avoir l’opportunité de se réincarner en tant que jet-setters beaux, riches et fascinés par leur propre nombril.

[1] Copyright Les cahiers du football

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