• Au-delà des collines, de Cristian Mungiu (Roumanie, 2012)

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Où ?

A Cannes, et au ciné-cité les Halles

Quand ?

En mai, et mardi soir

Avec qui ?

Seul, et maBinôme

Et alors ?

J’avais sous-titré ma critique de 4 mois, 3 semaines, 2 jours, le précédent long-métrage de Cristian Mungiu, « un film d’actions ». La formule reste résolument valable pour Au-delà des collines, qui est pénétré de la même philosophie cartésienne visant à ne filmer que des faits et gestes concrets, s’inscrivant dans un cadre également défini avec raison. Le flux d’actions de Au-delà des collines démarre à l’instant des retrouvailles des deux héroïnes, Alina et Voichita, après des années de séparation, et s’interrompt dès lors que ne subsiste plus la moindre incertitude concernant l’issue du fait divers pour ses différents protagonistes. Car fait divers il y a à l’origine du scénario, ce qui ne signifie aucunement que Mungiu rentre dans les rangs (trop) fournis des réalisateurs qui considèrent leur travail bouclé une fois qu’ils ont mis la main sur une « histoire vraie ™ » vendeuse à souhait. Le cinéaste roumain s’inscrit dans une lignée distincte, et plus fréquemment représentée dans l’univers du documentaire – les essais de Jean-Xavier de Lestrade ou Werner Herzog par exemple –, qui voit dans le fait divers une matière première dont le travail par le cinéma peut extraire la richesse dramatique et humaine. En traitant avec attention toutes les parties en présence, les événements acquièrent une noblesse particulière, l’histoire contée devient bouleversante et donne un film d’exception.

Alina et Voichita se sont connues à l’orphelinat, où elles ont été amantes. La première est ensuite partie tenter sa chance en Allemagne, tandis que la seconde est entrée dans les ordres. C’est donc au monastère qu’Alina revient chercher Voichita pour la convaincre de partir avec elle, et reprendre le fil de leur vie à deux. Mais Voichita n’a plus exactement les mêmes sentiments qu’Alina ; elle l’aime toujours, tout en portant un amour bien plus fort à sa nouvelle vie religieuse. Ce que Au-delà des collines raconte, avec minutie et acuité, est la confrontation de ces deux formes d’amours si absolues (celui d’une communauté chrétienne orthodoxe envers Dieu, et celui entre deux êtres de chair) qu’ils ne peuvent coexister, de quelque manière que ce soit. Voichita va pourtant provoquer cette cohabitation entre les deux camps se disputant sa dévotion, parce que le refus qu’elle oppose à Alina n’est pas absolument définitif. Frontal et se jouant en huis clos, le conflit est si violent qu’il ira jusqu’à une tentative d’exorcisme d’Alina par les sœurs et le prêtre du monastère. Ils la croient « possédée par le malin », seule (et terriblement mauvaise) réponse en leur possession face à la folie d’Alina, produit de la combinaison de deux facteurs qui les dépassent : son enfance traumatisée et surtout l’amour immense qu’elle ressent envers Voichita.

La finesse avec laquelle Mungiu adresse ces choses qui, dans le temps du récit, n’occupent que les âmes, est une des faces de l’excellence de son écriture. Il le fait en passant, lorsqu’elles refont fugitivement surface au détour d’une phrase ou d’un objet qui les rappelle, et ne s’y attarde pas, ni ne force artificiellement ses personnages à le faire. Les rouages secrets qui commandent les actions et décisions des individus gardent pour l’essentiel leur nature cachée, ce qui fait de Au-delà des collines une puissante réflexion sur le point de vue et la subjectivité : chacun y agit en fonction de ce qu’il voit, et de comment cela interfère avec ce en quoi il croit. Un défi auquel Mungiu se risque lui-même, en provoquant la friction entre sa pratique d’un cinéma du concret, et un sujet fortement psychologique et immatériel. De cette alliance des contraires naît un formidable opéra tragique, porté par le déchaînement des éléments – le feu, la neige, l’obscurité – et grandi par une mise en scène massive pleinement maîtrisée. Mungiu n’a pas perdu une miette de l’immense puissance visuelle révélée par 4 mois, 3 semaines, 2 jours. Son usage du format scope, au cœur de sa démarche, est toujours aussi inouï. Il l’emploie contrenature, à des fins d’étranglement du cadre et d’étouffement des êtres qui s’y trouvent enfermés. Les plans-séquences menaçants suivent les personnages comme leur ombre, bloquant tout espoir d’une trouée (une ellipse, un décor plus vaste) par laquelle se dérober à l’inexorable marche en avant d’un cauchemar qui leur échappe complètement. Et finit par les dévorer purement et simplement, ainsi que le dernier plan-séquence, le plus terrible et le plus juste de tous, le figure.

Lui-même malmené par l’énergie farouche du film, le spectateur est toutefois placé dans une position privilégiée vis-à-vis de la situation et des personnages. L’opportunité nous est donnée d’observer les uns et les autres dans différents contextes et face à différents interlocuteurs, ce qui multiplie les informations glanées et nous permet d’affiner notre compréhension d’ensemble. Les acteurs du drame, pour leur part, se trouvent crûment défavorisés par le degré de déréliction de leur cadre de vie. Tout ce qui devrait composer une société collective fait défaut, et la débrouille individuelle devient la seule option. Chacun, selon ses moyens matériels et ses dispositions intellectuelles, s’oriente alors vers le repli dans une quasi indifférence dépitée, l’exil à l’étranger, ou la remise de son sort entre les mains de l’autorité religieuse. Laquelle ne fait finalement qu’occuper un espace laissé vacant par le manque d’institutions séculières, d’une éducation et d’une perspective communes aux êtres. Cette remontée consciencieuse du courant des raisons et explications élève le film bien au-dessus du pamphlet antireligieux sommaire. Son arrière-plan social et politique apporte une ampleur supplémentaire à la tragédie qui est au cœur de son histoire, en la rattachant à des problématiques plus vastes. Et Alina comme Voichita existent au sein de cette communauté désolée, en plus de former en privé un couple d’héroïnes déchirantes.

2 réponses à “Au-delà des collines, de Cristian Mungiu (Roumanie, 2012)”

  1. Roumain dit :

    meilleur commentaire que j’ai jamais lu sur ce film

Répondre à Erwan Desbois