• Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia, de Sam Peckinpah (USA, 1974)

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Où ?

A la maison, en Blu-Ray édité par Filmédia

Quand ?

Dimanche soir, il y a quinze jours

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia possède une caractéristique qui est source d’amertume : parmi la douzaine de longs-métrages réalisés pour le cinéma par Sam Peckinpah, c’est le seul à ne pas avoir été remonté (démonté ?) par ses commanditaires avant sa sortie en salles. Pour cela il a fallu que Peckinpah se retrouve mis à la porte du petit monde des studios hollywoodiens, et pris sous son aile par deux apprentis producteurs indépendants, Martin Baum et Helmut Dantine, qui l’admiraient suffisamment pour le laisser écrire, réaliser et monter à sa guise. Le fruit de l’imagination du cinéaste est une virée pour l’enfer, comme souvent ; qui cette fois se fait en deux temps, un aller et un retour accomplis sur le même chemin. Avec dans l’espace entre les deux, une ellipse subite, aux allures de gouffre béant, où s’abîment l’âme du héros et avec elle tout espoir d’une conclusion heureuse. La froideur clinique de l’organisation du récit, cette façon méthodique qu’a Peckinpah de le replier le plus exactement possible sur lui-même, font d’Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia une œuvre d’un nihilisme intégral. Une fois qu’elle en a fini avec son programme d’effondrement elle nous rejette brutalement sur le bord de la route, meurtri, tétanisé, la gorge nouée. Au moins sommes-nous alors encore vivants, ce qui n’est le cas d’aucun des acteurs du drame, qui finissent tous criblés de balles. Et pour quoi ? Pour la tête d’un homme, déjà mort (dans un accident) avant même le début du film, chose que la personne qui l’a mise à prix pour un million de dollars ne sait pas. Voir …Alfredo Garcia peu de temps après l’infâme Taken rend encore plus criant le grand écart moral entre ces deux longs-métrages, qui ont l’un comme l’autre valeur de symbole. En face des 35 morts que le « héros » joué par Liam Neeson se voit autoriser à laisser derrière lui, sans avoir de compte à rendre à qui que ce soit, se dressent les 21 s’entretuant devant la caméra de Peckinpah pour une raison doublement vide de sens.

La cible qui leur a été désignée est non seulement déjà passée de vie à trépas, mais en plus l’ire du commanditaire à son encontre est épidermique et volatile. La présence de l’argent comme mobile dominant (la récompense pour la remise de la tête tranchée s’élève à un million de dollars), et l’importance donnée dans le récit à la cascade structurée des donneurs d’ordres et exécutants, sont de nature à faire de …Alfredo Garcia un conte moral et politique de premier plan. Pourtant un élément surplombe tout le reste, et commande au film sa véritable nature. …Alfredo Garcia est infesté par la mort, qui s’invite dans l’espace de ses plans et les replis de sa narration. La tête à ramener est au cœur de la contagion – sans en être la source unique, loin s’en faut. Dans le monde tel que le voit Peckinpah, ici comme dans ses autres films, le mal que perpètrent les hommes et qui gangrène la société est tel un volcan somnolent, toujours prêt à être ranimé. Dans …Alfredo Garcia, avant la tête, il y a ainsi un viol (d’autant plus dérangeant qu’il est contemplé comme un événement de l’ordre du possible, et non une interruption aberrante et choquante par principe). Et dès le moment où il y a la tête, il n’y a plus qu’elle. Sa présence corrompt tout, en envahissant les sens – l’odeur pestilentielle, les amas de mouches qu’elle attire – et les esprits. Déterrée du tombeau, rétablie contre nature parmi les vivants, la mort enfante autour d’elle toujours plus de mort, dans une spirale qui ne connait pas de fin. Le scénario de …Alfredo Garcia reprend alors à l’envers le chemin qui a été le sien, du commanditaire du contrat au cimetière où il a été exécuté, et sème la mort partout où il y avait de la vie, que cette dernière soit étincelante ou misérable. L’affirmation à la face du spectateur de cet unique horizon, cruel et désolé, de l’existence fait du film un superbe équivalent cinématographique des Vanités en peinture.

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