• Applause, de Rouben Mamoulian (USA, 1929)

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Où ?

À la maison

Quand ?

Samedi soir

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Applause fait partie de la toute première fournée de longs-métrages parlants produits par Hollywood. Mais à ses commandes se trouve un réalisateur qui, bien qu’il s’agisse de son premier film et alors qu’il vient du monde de la scène, est déterminé à entretenir coûte que coûte l’esprit et l’intensité du cinéma muet, grandement menacés par l’irruption du son. La lourdeur des moyens à mettre en œuvre, pour obtenir la synchronisation d’une bande-son avec le défilement des images d’un film, poussait alors les metteurs en scène à faire au plus simpliste, quitte à participer à un mouvement de régression spectaculaire par rapport au niveau de sophistication visuelle et narrative atteint dans les chefs d’œuvre des dernières années du muet. Pour Applause, Rouben Mamoulian marche crânement à contre-courant en cherchant coûte que coûte à travailler avec ambition la forme de son film. Avec, au final, des fortunes diverses selon les scènes – il arrive que le résultat soit franchement en-deçà de l’intention, au point d’en devenir comique malgré lui.

Une poignée de travellings brinquebalant vers l’avant sont dans ce cas, mais ils pèsent bien peu dans la balance face à tout ce que Mamoulian crée d’inventif et de puissant. Toutes les grandes émotions d’Applause – et elles sont nombreuses – naissent des pratiques cinématographiques de composition et manipulation des images, exactement comme lorsque le son ne se mettait pas en travers du chemin. Dès que cela s’impose, la mise en scène vient renforcer le lyrisme mélodramatique de l’intrigue. Ici, c’est un travelling en miroir (vers l’avant, puis vers l’arrière pour révéler un nouveau décor après un effet de fondu sur le plan serré faisant la jonction) qui exprime le changement de vie de la jeune héroïne April, mise chez les sœurs par sa mère Kitty, vedette de cabaret burlesque ; là, c’est un montage agressif qui assoit une vision monstrueuse de ce genre de spectacle, en démultipliant les gros plans menaçants en contre-plongée sur les visages des danseuses courtement vêtues, et des spectateurs lubriques qui se chargent mentalement de retirer les pièces de tissu qui restent. D’autres motifs éminemment visuels, ombres portées, rêves où s’entrechoquent les images de la journée, dominent la seconde moitié du film et servent à leur tour de moyen d’expression du dégoût d’April pour le music-hall que Kitty et son amant Hitch veulent lui faire pratiquer de force.

Le son tient une place d’égale importance à celle de l’image à une seule occasion dans Applause : un autre montage virulent, qui oppose avec fracas la sérénité paradisiaque du couvent où April a grandi et le chaos dantesque de New York où sa vie d’adulte l’attend. Les visions accablantes de la masse de gens, de véhicules, d’immeubles, de tôle qui engloutit soudain April sont renforcées par les bruits qui saturent la bande-son, nous faisant subir avec la jeune femme le capharnaüm du mouvement incessant de la ville. Audacieux dans sa forme, grâce à sa proximité avec le cinéma muet, Applause l’est tout autant dans ce qu’il raconte – il est inconcevable qu’un film conçu aujourd’hui dans le système des studios adopte des thèmes et des postures du même degré de subversion et de noirceur. La dynamique du ménage à trois entre la proie April, la misérable Kitty et l’ordure Hitch est délétère à tous points de vue (désir quasi incestueux à sens unique, exploitation cynique d’autrui), et mène à une conclusion qui joue de façon très lapidaire le jeu du happy-end ; le retour du providentiel personnage du marin, à l’influence déjà bien sapée par les scènes précédentes, étant compensé par le sort très incertain qui attend Kitty. Le drame signé par Mamoulian est porteur d’une vision amère du monde, et s’y tient jusqu’au bout.

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