• Amour, de Michael Haneke (France-Autriche, 2012)

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Où ?

Au théâtre la Licorne, à Cannes, dans une séance de rattrapage Cannes Cinéphiles de la sélection officielle du Festival

Quand ?

En mai

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Il ne faut chercher nulle malice dans le titre du nouveau film d’un cinéaste considéré comme faisant partie des plus sadiques et blessants envers ses semblables humains (Funny games, sa première Palme d’Or Le ruban blanc). Michael Haneke aspire bel et bien à nous parler d’amour, à manifester une âme généreuse. Pour ce faire il nous enferme, pardon nous invite dans l’appartement parisien d’un couple d’octogénaires, Georges et Anne, Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva. Sa santé à elle se détériore inexorablement au fil du récit, jusqu’à l’issue fatale, mais ce que nous suivons est moins son calvaire que la continuation par son mari de leur histoire d’amour, coûte que coûte, en dépit de ces évolutions jamais favorables. Il respecte jusqu’au bout la promesse faite de ne pas la ramener à l’hôpital, quoi qu’il arrive, et de vivre ensemble avec la même loyauté et le même attachement dans la peine comme auparavant dans la joie, dans la douleur comme dans la plénitude des moyens physiques.

L’exercice ne manque assurément pas de douceur, ni d’audace. La douceur naît essentiellement de l’interprétation des deux comédiens, qui font des merveilles des touchants moments d’intimité simple écrits par Haneke. L’audace est entièrement le fait de ce dernier, seul responsable du chemin tracé par le film à rebours du traitement éminemment confortable habituellement de mise face à ce sujet dérangeant. Amour nous place avec les mourants, et laisse les vivants (ici le personnage de la fille du couple) au seuil du récit ; il refuse le vernis de tragique dont peut être recouverte une telle situation humaine, au profit d’une chronique dépouillée, journal de bord presque routinier des soins à prodiguer, des courses à faire, des visites à gérer, etc. Pour ces raisons, Amour est foncièrement une œuvre très puissante et très belle, ainsi que la célèbrent la majorité de ses spectateurs.

Mais quelque chose me dérange dans le film, et m’empêche de souscrire entièrement à la conversion de son auteur. Cela se joue dans le lien entre la force de ses intentions profondes et l’éclat des instants d’émotion qui composent sa surface ; dans la méthode Haneke, son système qui n’a pas tant changé que ça. J’ai l’impression que lui-même ne ressent pas réellement d’amour, d’empathie envers qui que ce soit. Ses personnages, il ne peut s’empêcher de les manipuler comme des recrues au service de son dessein – voir les ellipses arbitraires qui font chuter de plusieurs crans d’un coup l’état de Anne, ou le rôle bâclé de l’infirmière méchante – ; son public, il le toise, comme un auditoire qu’il voit comme inférieur et dès lors à instruire, en usant de méthodes sévères. Je vois revenir régulièrement dans Amour une volonté patente de nous infliger une peine, de nous faire emprunter la voie de la souffrance pour nous élever. Cette manière de procéder n’est pas forcément un mal en soi, je la trouve même très efficace lorsqu’elle sert à couvrir le destin d’individus abîmés ou corrompus, dans des films tels que La pianiste et Caché. Mais ici elle ne correspond pas au dessein, et en cela vient le contrarier. Haneke veut nous parler d’amour en usant uniquement d’intelligence, et uniquement de la sienne. Il ne laisse jamais Georges et Anne prendre la main, ne les traite jamais d’égal à égal. Le film ne peut dès lors se défaire complètement d’une apparence clinique, attitude dont l’usage au compte-gouttes des plans serrés sur les visages (qui sont pourtant à chaque fois bouleversants) est symptomatique. Haneke fait sans cesse attention à ne pas se laisser aller à être avec ses personnages, mais en surplomb, en contrôle. Il maintient sur eux une tutelle rigoureuse.

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