• Aloïs Nebel, de Tomas Lunak (République Tchèque, 2011)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles (seul cinéma parisien à montrer le film)

Quand ?

Jeudi soir, à 20h30

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

La République Tchèque est l’un des pays européens ayant payé un lourd tribut au 20è siècle : annexé par le Reich nazi dès 1938, puis passé sous la coupe de l’URSS dans la foulée, jusqu’à la fin de l’année 1989. C’est dans ce moment de bascule, des prémisses de la première libération véritable du pays depuis plus d’une génération entière qu’Aloïs Nebel inscrit son récit, centré sur son personnage éponyme et les proches de celui-ci. Nebel est chef de gare dans une bourgade rurale et reculée de la région des Sudètes, la plus proche de l’Allemagne dans le pays, celle que les nazis aspiraient le plus à posséder. Avant le départ de l’occupant soviétique, sa vie consiste essentiellement à contenir, la nuit, les fantômes de ce passé qu’il a vécu enfant, et qui hantent les marges de sa mémoire ; et le jour, les démons du présent, la collaboration forcée, la surveillance, l’angoisse de la sanction arbitraire pouvant s’abattre à tout moment sur vous cette fois-ci. Après le départ, les fantômes sont toujours là, les démons aussi – car la principale, et accablante, leçon d’Aloïs Nebel est que si les systèmes passent, les hommes qui ont contribué à les faire fonctionner, souvent avec zèle, restent pour la plupart. Avec les mêmes mécanismes de pensée et d’action. De quoi faire de la révolution une belle idée vite fanée, et vécue uniquement à distance, à la télévision.

Aloïs Nebel témoigne de ce creusement grandissant du gouffre entre la grande histoire, d’un pays allant de l’avant et renaissant, et la petite, les petites, des individus qui à force de subir l’accumulation de strates de traumatismes finissent par ne plus pouvoir avancer. Figés sur place par le fardeau du passé, qu’il soit ancré dans leur tête (les flashs qu’a Aloïs d’un incident survenu en 1945) ou constamment reflété dans le visage des gens qui les entourent (le collègue d’Aloïs et son père, collabos chacun à leur manière et dans leur temps). Les blessures qu’ils subissent à leur niveau ne cicatrisent pas comme le font celles à l’échelle d’une nation. Le film cherche la voie d’une issue à cet enfer lugubre et glacé ; sa progression est incertaine, tâtonnante, laborieuse. Cette pénibilité n’est pas infligée au spectateur par suffisance ou hostilité. Elle est inhérente aux protagonistes de l’histoire, happés dans les méandres de leur mémoire apte à les faire tourner en rond jusqu’à l’aliénation et au découragement.

Particulièrement ambitieux et talentueux dans sa texture narrative, qui agrège quantité d’éléments hétéroclites (différents personnages ayant chacun un passif dense, différents lieux, âges, événements se déroulant en même temps), Aloïs Nebel l’est encore plus dans sa forme. Il appartient à cette classe de films d’animation qui, le temps de leur projection, vous rendent convaincu que ce moyen d’expression est capable de merveilles inaccessibles aux films en prises de vue réelles. Le réalisateur Tomas Lunak et son équipe déploient un sens graphique aigu, duquel naissent des visions d’une terrible puissance. Ils cisèlent des décors majestueux, éloquents, les nimbent dans des ambiances pesantes de neige et brouillard, de noir et blanc, et les transpercent d’éclairs visuels intenses, qui balayent tout ce que la grammaire du cinéma dessiné et animé compte comme moyens de bouleverser le public. L’expression « beau à pleurer » a été inventée pour de telles œuvres, graphiquement superbes sans que ce don ne les fasse à aucun moment perdre de vue le sens de leur présence, la fonction qui leur incombe.

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