• Abus de faiblesse, de Catherine Breillat (France, 2013)

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Où ?

Au MK2 Beaubourg

Quand ?

Mercredi soir, à 20h, pendant que les gens se pressaient dans la salle à côté pour découvrir The grand Budapest hotel

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Catherine Breillat n’a jamais compris ce qui s’est passé durant les mois où elle est devenue la victime de l’escroc Christophe Rocancourt, pourtant alors déjà réputé et même condamné – c’est même précisément pour cette raison qu’elle était entrée en contact avec lui, pour un projet de film dont il aurait tenu le rôle principal. Au lieu de s’obstiner à essayer d’expliquer l’inexplicable, puisque n’étant pas psychanalyste, la cinéaste a choisi de faire ce pour quoi elle est douée : tirer à partir de cette pelote de réalité le fil artistique d’une histoire fictionnelle, qui pose les questions au lieu de nous imposer des réponses. Plutôt qu’un récit-enquête mené en flashback, duquel la vérité émergerait, un exposé crûment linéaire des événements, surplombé d’aucune forme de réflexion ; un choix que vient entériner le positionnement de la seule scène d’interrogation des faits par l’héroïne, en conclusion du film pour en perpétuer l’énigme et non en ouverture pour lui mettre la bride au cou. Dans ce dramatique monologue final, Catherine devenue Maud interprétée par Isabelle Huppert déclare « c’était moi qui faisais ces chèques et pourtant ce n’était pas moi ; c’était moi puisque ce n’était pas quelqu’un d’autre ». Le mur contre lequel butent nos tentatives d’élucider ce qui commande certaines (la plupart ?) de nos actions apparaît là, dans ces paroles.

Auparavant, pendant une heure et demie Breillat aura contourné ce mur en faisant d’Abus de faiblesse un film non pas intellectuel mais purement physique. L’interprétation sidérante de son actrice est l’élément essentiel de la réussite de cette entreprise. Pour plagier la citation ci-dessus, c’est une performance – au sens d’une prouesse – et pourtant ce n’est pas une performance – au sens d’un numéro m’as-tu-vu, emballé et coiffé d’un petit ruban à l’intention des votants pour les César. Huppert a mille fois raison de théâtraliser son jeu, d’abord parce qu’elle sait le faire à merveille, comme elle le prouve film après film depuis tant d’années ; et car cette solution déleste Abus de faiblesse de tout surmoi explicatif. On y est mis uniquement face au « ça », les pulsions, la présence concrète des choses, et de nos corps qui se rappellent violemment à notre souvenir lorsqu’ils deviennent infirmes, déficients. Embarras plutôt qu’outil. Avant que Christophe-Vilko-Kool Shen entre en scène, le film débute par un impressionnant prélude consacré à cette déchéance physique qui frappe Maud, après qu’un AVC l’a rendue hémiplégique. C’est sans pudeur tricheuse que Breillat observe ce par quoi elle est elle-même passée, amenant de la sorte ces scènes d’hôpital et de rééducation à la lisière du film fantastique, tendance Frankenstein ou Cronenberg. Cette ombre planera en permanence sur Abus de faiblesse, qui à son terme épouse les traits d’un autre sous-genre de l’horreur : le film de sorcière recluse dans son manoir délabré, tapi derrière sa grille et les herbes folles du jardin.

Régulièrement au cours du récit la menace est réactivée, toujours de manière inspirée. Par une visite à une grand-mère réduite à porter des couches, par des rechutes de Maud filmées sans la moindre trace de pitié cinématographique – une coupe qui viendrait interrompre la scène, un angle de vue qui amènerait l’empathie envers le personnage. La réalisatrice ne se fait aucun cadeau, la version fictionnelle qu’elle donne d’elle-même est un être antipathique, plein de suffisance et de mépris. Mais si Abus de faiblesse exorcise peut-être certaines choses, il n’expie rien. Breillat s’y sauve en agissant en artiste, en prenant toutes ses décisions comme telle. Son film est rempli d’inspirations brillantes de mise en scène qui décuplent la puissance de son propos, de l’interprétation de Huppert : le resserrement des plans sur le chéquier à chaque nouveau don, le mouvement de caméra qui accompagne la séquence avec le sac de courses, le cri abrupt qui signe la rupture d’un coup du maléfice pesant sur Maud. Par ailleurs, elle fait de Vilko un bloc de mystère indéchiffrable, qui sortira du film aussi soudainement qu’il y est entré ; et pour l’incarner elle reprend perversement la même décision qui l’a jetée dans les filets de Rocancourt, de choisir un débutant non-professionnel. Si revanche il y a, elle est là, dans le fait d’avoir fermé cette parenthèse, et repris le cours de son œuvre là où il avait été interrompu.

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