• A touch of sin, de Jia Zhang-ke (Chine, 2013)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Vendredi soir il y a dix jours, à 22h30

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Il est d’usage à Cannes de décerner le Prix du scénario à une œuvre dont l’ambition de la narration est manifeste, pour ne pas dire qu’elle saute carrément aux yeux. Le jury de Steven Spielberg n’a pas dérogé à cette règle d’une certaine facilité en récompensant A touch of sin et ses quatre histoires indépendantes en surface, mais aux racines puisant à la même source commune. Cette spécificité du scénario est le point saillant du film de Jia Zhang-ke, mais ne constitue pas pour autant son plus grand atout. L’effet de redondance occasionné par l’analogie entre les quatre récits finit en effet par desservir quelque peu A touch of sin, après l’avoir aidé à grandir. Un unique principe fondamental dirige le film : en zoomant au point de l’isoler de la masse, le destin de tout chinois, où qu’il habite dans cet immense pays, ne se réduirait qu’à un entrelacs de violence inhumaine et sans fin en dehors de sa propre mort. Cette sentence, froide comme un impact de balle, est assurément porteuse d’une contestation d’une grande force à l’encontre du pouvoir en place et de ce qu’il fait endurer à ses sujets ; mais elle pose problème en raison des moyens employés à cette fin de révolte.

Lorsque l’on consacre non plus un film entier mais seulement un quart à l’observation d’un individu, il y a forcément des pans de son être qui passent à l’as. Dans le cas présent, en ne définissant ses protagonistes que par le prisme des humiliations qu’ils subissent et des réactions physiquement violentes qu’ils ont en retour, Jia se constitue à son tour une armée de recrues anonymes, à l’identité rabotée et étant pour l’essentiel des spécimens illustratifs du message politique brandi. Cette déshumanisation des personnes est certainement très cohérente de la situation actuelle en Chine, mais elle en adopte à mon sens un peu trop fidèlement les mécanismes. La vague du cynisme dépité qui habite Jia emporte tout dans son long-métrage, là où son compatriote Wang Bing parvient, dans son documentaire ‘Til madness do us part datant lui aussi de cette année, à préserver un frêle rapport d’humain à humain entre les figures qu’il filme et nous qui les regardons. Cela apporte à l’œuvre un surcroît de justesse morale sur lequel A touch of sin fait l’impasse, en se laissant prendre au jeu de la confrontation pied à pied, à armes égales avec le mal qu’il souhaite combattre.

Plus que le scénario, aux qualités qu’il ne s’agit toutefois pas de minorer (les transitions d’un fait divers à l’autre, les ellipses à l’intérieur d’une histoire pour coller à la brutalité avec laquelle la tragédie surgit), c’est la mise en scène de A touch of sin qui m’a impressionné et remué. Sur cet aspect, Jia Zhang-ke fait preuve en toutes choses d’une fluidité extraordinaire. Sa façon de circuler entre les genres cinématographiques (chaque intégration de séquences « à la manière de », films de sabre ou de vendetta personnelle, est virtuose et ne dégage aucune impression de gratuité), de basculer d’une atmosphère à l’autre sans jamais perdre en intensité ou sembler moins à l’aise rend en permanence le film plus riche, plus profond, plus frappant. Fait plus rare et donc plus marquant encore, cette grande maîtrise s’étend aussi à la manière d’habiter un décor, quel qu’il soit – une ville entière, un lieu d’habitation ou de travail, et même des endroits aussi volatils qu’une route ou un moyen de transport s’y déplaçant. De la sorte Jia nous fait véritablement pénétrer le monde de ses protagonistes, à défaut de nous inviter à partager pleinement leurs existences.

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