• Voyage à deux, de Stanley Donen (USA, 1967)

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Où ?

A la maison, en DVD zone 2 acheté en profitant des soldes de la Fnac

Quand ?

Dimanche soir

Avec qui ?

Ma femme

Et alors ?


La vie de couple, ses coups de foudre, ses bonheurs, ses déboires, a toujours
été l’un des sujets les plus prisés par le cinéma, si ce n’est même LE sujet du cinéma – Hitchcock disait ainsi que la meilleure histoire imaginable était « Boy meets girl ».
Comme d’autres avant et après lui, Stanley Donen vise à englober le thème dans son intégralité. Il ne s’agit donc pas tant de raconter une histoire de couple, avec un début – exalté – et une fin,
temporaire ou définitive, joyeuse ou triste ; mais plutôt d’exposer tous les états possibles d’une relation, des tiraillements aux élans de grâce, jetés impulsivement à l’écran sans chercher à
les hiérarchiser.

Le dernier avatar en date de cette quête était le rêveur Eternal sunshine of the spotless mind, de Michel Gondry. Voyage à deux est plus beau, plus pur encore car
il ne requiert même pas l’appui de la béquille de la science-fiction appelé en renfort dans Eternal sunshine… Les sauts d’une période à une autre dans la vie de Joanna (Audrey
Hepburn) et Mark (Albert Finney) entre leurs vingt-cinq et leurs quarante ans s’opèrent uniquement par des moyens de cinéma, l’art de la malléabilité du temps par excellence (ne serait-ce qu’avec
les flashbacks et autres ellipses. Une coupe, un panoramique ne nous mènent plus à un autre endroit au même instant mais à une autre époque sans avoir changé de lieu. En 1967, quand le film est
tourné, ce genre de conduite de récit est encore révolutionnaire ; et c’est tout à l’honneur du réalisateur Stanley Donen, pourtant plus connu pour ses comédies musicales classiques
(Chantons sous la pluie) ou ses parodies d’espionnage légères (Charade), d’avoir relevé le défi de l’ambition cinématographique et de la profusion psychologique du
scénario de Frederic Raphael.

Une des caractéristiques du cinéma de Donen sert d’atout au film : son sens du rythme, appris dans le cadre de l’efficacité divertissante d’Hollywood et ici mise au service de thèmes plus
profonds. Quinze ans de la vie d’un couple forment une matière suffisamment abondante pour que Voyage à deux ne ressente jamais le besoin de déserrer son étreinte. Il y a toujours
une correspondance mélancolique à trouver, un décalage cruel à pointer entre les principes impérieux et purs de la sortie de l’adolescence, les concessions douloureuses et que l’on croit requises
qui viennent par la suite, et le sentiment de résignation presque fatal qui accompagne le temps des regrets. Donen et Raphael se postent au bord du chemin des vacances dans le sud de la France
parcouru à plusieurs reprises – au hasard de l’auto-stop lors de leur rencontre, en compagnie de connaissances comiquement insupportables, ou bien seuls tels des automates reproduisant sans
ardeur des mouvements machinaux – par Joanna et Mark. Pris séparément, chaque instantané de la vie de ce couple ne veut rien dire en soi, et est aussi superficielle et fugace qu’une rencontre de
passage sur la route. Replacés dans un contexte, dans un tableau d’ensemble, ils ouvrent la voie vers le dévoilement de cette composante impalpable des rapports humains, le moteur du comportement
des uns et des autres qui reste invisible si l’on ne se trouve pas en permanence à leur place. Précisons par ailleurs qu’il est tout à l’honneur des auteurs autant que des acteurs de parvenir à
maintenir Voyage à deux dans une posture où les difficultés du couple sont réelles, mais où leur amour l’est tout autant. Ils évitent ainsi le piège, par exemple visible dans
5×2 de François Ozon, de donner le sentiment que les héros étaient de toute manière mal assortis dès le départ et de nous désintéresser en conséquence de leurs problèmes. Joanna
et Mark se complètent, s’enrichissent dans les bons moments et s’abîment dans les mauvais.


Dans ce jeu de va et vient dans le temps, la « constante » (pour parler en termes lostiens) qui permet au spectateur de ne pas perdre le fil est l’image. Nul besoin de dialogues superflus pour nous resituer sans cesse dans le temps :
Stanley Donen leur substitue l’impact immédiat d’une évolution d’un élément du décor – plage, voiture… – ou de l’aspect d’un personnage. Là encore, on assiste à une pure entreprise de cinéma,
confiante et intense. Les innombrables tenues d’Audrey Hepburn, véritable défilé de modes des excentricités de couleurs et de formes des années soixante, prennent ainsi une inattendue utilité
filmique. On retrouve là, sur un point apparemment annexe, la remarque faite plus haut dans cette chronique à propos du double travail réalisé par Voyage à deux sur l’éphémère et
sur le durable. Si ce voyage ne débouche pas sur une conclusion définitive, le choix fait pour la séquence finale revêt toutefois une importance particulière – surtout dans un récit accordant
tant de place à la force de l’image, et créant une telle relation avec le spectateur. De même que dans Eternal sunshine…, dans Eyes wide shut (autre scénario de
Raphael), la décision est prise de nous quitter sur une note de bonheur. Peut-être versatile, assurément précaire. Mais, dans la seconde qui précède le générique de fin, total et sans réserve.
Comme si, une fois un parcours exhaustif effectué sur ce qui compose un couple, le positif finissait toujours par l’emporter.

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