• Vincere, de Marco Bellocchio (Italie, 2009)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!



Où ?

Au ciné-cité les Halles

 

Quand ?

Vendredi soir

 

Avec qui ?

Ma femme et mon amie cinéphile

 

Et alors ?

 

Le démarrage de Vincere nous cloue purement et simplement au fond de notre siège, du fait du souffle de l’onde de choc qui s’y déploie. C’est une atmosphère que Marco Bellocchio
veut mettre en place dès les premières minutes, plus qu’un récit. La rencontre de son personnage principal entre Ida Dalser et Benito Mussolini, les débuts de celui-ci dans l’engagement
politique, au sein du parti socialiste, et la concrétisation par le couple d’amants des premiers échelons de leur projet commun, sont autant d’éléments liminaires jetés de façon enchevêtrée sur
l’écran, dans un élan désordonné mais extraordinairement énergique. Entre la composition picturale qui réduit chaque lieu au rang de décor aux agissements des personnages, la chorégraphie
recherchée des mouvements et déplacements de ces derniers, l’intrusion spectaculaire d’images d’archives ou de slogans politiques de ce début du 20è siècle venant en surimpression de l’action, et
la bande-son lardée d’airs d’opéra à leur summum d’intensité, il n’y a d’ors et déjà pas une scène de Vincere qui ambitionne un quelconque réalisme. Il n’y en aura aucune de tout
le film.

Ce déchaînement d’énergie cinématographique, et sa tenue dans la durée alors qu’Ida est répudiée par Mussolini, séparée du fils qu’elle a eu de lui (lequel grandit dans un complet isolement) et
internée dans un hôpital psychiatrique, est la grande réussite de Vincere. Peu de films sortis cette année auront autant exsudé le septième art par tous leurs pores. Ce magma en
fusion permanente est le siège à intervalles irréguliers d’éruptions encore plus prodigieuses : le plan en contre-plongée qui voit Ida, accrochée aux immenses barreaux de l’hôpital, jeter
ses multiples lettres clamant sa vérité dans une tempête de neige ; l’opposition exaltée, dans un cinéma, en ombres chinoises projetées sur l’écran, entre les socialistes favorables à
l’entrée de l’Italie dans la première guerre mondiale (menés par Mussolini) et ceux qui veulent s’en tenir à la ligne officielle de neutralité du parti. En remontant encore le temps jusqu’au
début du récit, la séquence la plus viscéralement puissante est celle, animale, de sexe mêlant les corps d’Ida et du futur Duce. Leurs corps seulement, pas leurs esprits ; par le montage et
les changements d’axe, Bellocchio montre clairement comment elle vit passionnément l’instant présent quand lui est déjà presque entièrement orienté vers son avenir, et sa quête du pouvoir.

La première partie de Vincere décrit, sans jamais l’expliciter platement par des mots, cette bataille titanesque, métaphysique, entre les désirs du corps (les pulsions sexuelles)
et ceux de l’esprit – les rêves de grandeur, de domination. Le couple Dalser/Mussolini n’a pas plus de vérité que l’environnement dans lequel ils évoluent ; c’est un couple de mythe, un
exemple allégorique. La furie du film donne sa pleine mesure tant que les forces en présence se toisent d’égal à égal ; c’est-à-dire aussi longtemps qu’Ida parvient à provoquer chez son
amant des réminiscences de leur ardente nuit de sexe, en lui présentant tout ou partie de son corps dénudé dans l’intimité ou en public. Nous ressentons ces assauts purement charnels aussi
violemment que leur cible ; de même que nous prenons de plein fouet, comme Ida, les humiliations décochées par un Mussolini de plus en plus distant à mesure qu’il gagne en autorité.

Ce statu quo explosif finit par être brisé, lorsque Mussolini devient trop puissant pour qu’Ida puisse encore le ramener à elle. Même si le combat ne s’achève pas à cet instant (Ida refusera
jusqu’au bout de jeter l’éponge), Vincere baisse à partir de là de plusieurs tons. La lutte est trop déséquilibrée, on la suit encore jusqu’à son issue – qui ne fait plus guère de
doute – mais avec une implication réduite à pas grand-chose. Bellocchio choisit alors le camp d’Ida plutôt que de Mussolini ; à raison, les perdants étant toujours plus intéressants que les
vainqueurs. Mais cela le mène à partager l’impasse dans laquelle se trouve son héroïne, dépouillée de toutes ses libertés et réduite à répéter ad aeternam sa vérité que plus personne ne veut ou
peut entendre. Le cinéaste cherche alors une issue du côté du personnage du fils, avec la très belle idée de le faire interpréter par le même acteur que son père. Le fils devient ainsi tout à la
fois le fantôme du père désormais hors d’atteinte, et une version alternative de ce qu’aurait pu être celui-ci si sa vie n’avait pas été guidée par son obsession de toute puissance. Mais ces
trouées dans le récit du martyre d’Ida sont trop clairsemées et aléatoirement incorporées pour compenser le déséquilibre entre les deux actes du film ; et pour nous faire oublier notre
légère frustration finale. La forme était époustouflante, mais le sujet pas tout à fait à la hauteur.

Les commentaires sont fermés.