• Us vs. Them, over and over again

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Surprise : le tant attendu épisode Across the sea de Lost, censé régler une fois pour toutes leur compte aux questions mythologiques soulevées par la série, saisit en définitive
principalement par son insistance à rejouer, avec d’autres protagonistes, des moments-clés du récit qui nous passionne depuis six ans. Il ne faut y voir nul signe de facilité ou de paresse, car
ces scènes se trouvent projetées deux millénaires en arrière, ce que je ne traiterais pas de facile. Et de façon plus générale, le bagage philosophique et psychologique abondant accumulé par le
show épisode après épisode après épisode [phrase à répéter 120 fois] pousse à accorder une confiance quasi aveugle à ses auteurs, surtout si près du but.

vlcsnap-23793 Cette confiance sort de cet épisode renforcée,
une nouvelle fois. « It always ends the same » : cette phrase énoncée par MiB lors de sa première apparition, et dont l’on sait maintenant qu’il la tient de sa mère adoptive (adoption pour le moins
brutale, au demeurant), y sert de leitmotiv. Les jalons qui en ponctuent l’intrigue mettent en exergue l’acuité de cet énoncé. Dès les premières secondes, c’est le naufrage inaugural des héros de
la série qui réapparaît ; rapidement suivi par une grossesse presque à terme, une tentative de vol de nouveau-né (réussie cette fois-ci), et la découverte – immédiatement accompagnée d’un
sentiment de rejet, voire de haine – de la présence d’autres personnes sur l’Île. C’est toute la rivalité latente entre les Losties et les Others au fil des deux premières
saisons qui est ainsi recréée, comme si les choses ne pouvaient jamais se dérouler autrement.

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Dans la deuxième partie de l’épisode, c’est une autre histoire centrale de Lost qui a droit à une nouvelle existence : celle de la Dharma. Deux mille ans plus tôt, un
autre groupe d’hommes de science – par opposition aux hommes de foi – les avait précédés, et avait eu des raisonnements et une évolution similaires. Découverte des propriétés physiques
mystérieuses de l’Île, mise en place d’un protocole scientifique de recherches pour en comprendre le pourquoi et le comment (en aparté, la manière dont les scénaristes mettent en mots une logique
de recherche empirique crédible pour l’époque décrite est purement exceptionnelle)… et châtiment violent apporté par les gardiens des lieux lorsque la vérité se rapproche à portée de main. Dans
une interview consacrée à l’épisode, Lindelof et Cuse emploient à propos de cette part du récit l’expression « mass genocide ». Avoir réfléchi à ce thème, puis l’avoir
incorporé à un script de fiction et l’avoir porté sur les écrans de télévision à une heure de grande écoute donne à Lost un formidable surcroît de mérite – un de plus.

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Au-delà des réponses qu’il apporte, Across the sea participe donc à clore la série en en précisant et décryptant les fondements narratifs. Tout ça sans manquer, comme dans le récent et
tout aussi brillant Ab aeterno, de raconter en quarante minutes un drame humain poignant. Les malheurs, trahisons et vengeances qui minent le trio fusionnel formé par Jacob, MiB et
« Mère » évoquent la force brute et la dureté morale des grandes tragédies classiques, au sein de la Bible ou chez des auteurs comme Racine ou Shakespeare. Et l’ultime lien opéré par le
scénario étourdissant par-delà les siècles se situe justement à l’épilogue de ce drame à trois voix, lequel est superbement rapproché d’une scène de la saison 1 – la découverte des squelettes
dans la grotte – au moyen d’un montage alterné limpide. Le processus de révélation de l’identité des Adam et Ève du show vaut moins par la réponse qu’il apporte que par l’image de Jack, Kate et
Locke qu’elle ramène de cette préhistoire du récit. Pas parce que la réponse est décevante ; mais parce que l’idée, au moment où ces trois-là en sont rendus au pied de la grande confrontation
finale, de nous les remontrer tels qu’ils étaient au tout début de leur odyssée (Jack et Kate encore si sûrs de d’eux, et Locke en outsider un peu à l’écart) est saisissante.

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Put***, ce que cette série va nous manquer dans une poignée de jours. Le vide qu’elle laissera ne sera pas comblé de si tôt.

 

Sur un plan plus pragmatique, Across the sea a donc fourni son lot d’éclaircissements à pas mal d’interrogations. Lesquels éclaircissements se font à la mode
Lost, c’est-à-dire par suggestion plutôt que par étalage trop évident (nous n’avons ainsi jamais vu clairement les actions de la Dharma suite à l’Incident , mais
nous avons tous les éléments nécessaires à la reconstitution de leur agencement). Ce qu’expose cet épisode appuie dans sa majeure partie ma théorie « Le mot de la fin »
postée ici-même il y a quelques semaines. De celle-ci, seuls quelques points, tous à la marge, sont à moduler :

  • l’Île n’est pas « l’Enfer » mais plus génériquement « la Source » de vie autant que de mort. Elle est absolument neutre, ce qui est totalement en phase avec la ligne
    générale suivie par la série selon laquelle le bien et le mal ne sont en aucun cas des notions, des caractéristiques définitives. Quand à ce nom d’Enfer que Jacob lui donne dans Ab
    aeterno
    , il se comprend tout à fait maintenant que nous avons vu ce que la puissance de l’Île a fait à son frère – le transformer en Smoke Monster… En dehors de ce léger recadrage, le
    reste de mes idées concernant l’Île est toujours pleinement valide : c’est elle qui détient tous les fabuleux pouvoirs imaginables, en particulier ceux de tuer, de faire apparaître des
    fantômes, de ramener à la vie. Jacob et MiB ne font que profiter de certains de ces pouvoirs.

  • l’autre point à reconsidérer concerne justement les pouvoirs de ces deux protagonistes. Je m’emballais peut-être un peu trop dans mon texte quant à la magie que l’un et l’autre étaient
    potentiellement capables d’invoquer ; mais attendons tout de même de voir ce que nous réserve le final pour en juger définitivement.

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Par contre, pour tout le reste, mes hypothèses se trouvent corroborées.

  • MiB est avant tout la victime d’une succession d’événements douloureux, et il a réellement pour seul but de partir, afin de rejoindre sa terre natale située across the sea.

  • Sa compréhension des humains et son empathie envers eux est effectivement bien plus forte avec celles de Jacob, et les raisons de cette divergence se situent bien dans l’existence menée par
    l’un et l’autre – aux côtés d’humains pour MiB, reclus dans son isolement et dans sa fonction pour Jacob.

  • Sa lutte millénaire contre Jacob n’a aucune racine dans le système de valeurs chrétien, et n’a aucun rapport avec une opposition symbolique entre un camp du Bien et un camp du Mal. C’est un
    jeu, avec un plateau et des règles. Et savoir qui l’emportera sera l’une des quelques questions auguillant la conclusion de la série.

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