• Un soir d’avant-premières à Paris Cinéma (1/2) : Des hommes et des dieux, de Xavier Beauvois (France, 2010)

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hommes-3Où ?

Au MK2 Bibliothèque, dans le cadre du cycle d’avant-premières du festival Paris cinéma

Quand ?

Vendredi il y a dix jours, à 19h

Avec qui ?

MaFemme et mon frère

Et alors ?

 

Proposer à la suite le Grand Prix du Jury et la Palme d’Or du dernier Festival de Cannes, deux films qui étaient particulièrement attirants sur le papier avant même
d’être primés de la sorte, en voilà une initiative superbe – et un point d’orgue évident au toujours engageant festival Paris Cinéma.

Le Grand Prix, Des hommes et des dieux, est un de ces films qui surpassent tout ce que l’on attendait de leur réalisateur, de leur contexte de réalisation, et même
presque du cinéma tout entier ; pour ce dernier, ils nous rappellent en réalité de quoi cet art est capable lorsqu’il est pleinement exploité. Je ne m’attendais pas à un film aussi abouti de
la part de Xavier Beauvois. Son courage dans le choix des sujets et son énergie évidente dans la façon de les mener étaient remarquables mais occupaient toujours trop l’espace de ses précédents
longs-métrages, au détriment du souffle du récit et de la richesse des personnages. En optant cette fois pour un sujet moins à fleur de peau (l’infection par le sida dans N’oublie pas
que tu vas mourir
, le décès d’un policier débutant dans  Le petit lieutenant…) et appelant à la
réflexion plus qu’à l’action, Beauvois a trouvé l’équilibre qui lui faisait défaut.

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La trame de Des hommes et des dieux suit les événements réels ayant conduit à l’assassinat des moines de Tibhirine, en 1996, par des membres du GIA en Algérie. Beauvois
s’en tient aux faits avérés pour bâtir son scénario : on ne verra ainsi presque rien de la période de captivité des moines, et leur exécution aujourd’hui encore mal expliquée reste hors du
champ du film. Mais il n’adopte pas pour autant une attitude de subordination vis-à-vis de ces faits. Des hommes et des dieux n’est ni daté, ni situé avec précision, et
doit être vu comme un conte indépendant, non circonstancié. Le devoir auquel Beauvois se réfère n’est pas celui de mémoire, mais de questionnement à propos de l’homme. Ses interrogations :
quelle est la place de l’homme dans le monde ? Et, plus spécifiquement, quelle est celle de l’homme bon ?

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Beauvois cherche les réponses dans la compagnie des moines de Tibhirine. La manière dont il présente leur quotidien lance le film sur des bases très élevées. La beauté majestueuse des paysages de
l’Atlas, les cadrages fixes ou aux mouvements posés qui sont employés pour observer les activités dans et en dehors du monastère, l’économie de mots de toute cette séquence instaurent une
atmosphère d’une sérénité qui n’est pas si souvent atteinte au cinéma. Les premiers coups d’éclat des commandos du GIA nous plongent de ce fait dans le même effroi que les moines lorsqu’ils s’y
trouvent confrontés. Le sentiment d’équilibre et d’accord avec le monde qui nous a été si justement transmis dans l’introduction est sapé jusque dans ses fondements par de telles agressions. La
question qui se pose alors aux personnages, et à travers eux au film et au spectateur, est de savoir ce qu’il est possible de faire émerger comme nouvelle harmonie, comme communion entre
eux-mêmes et un monde en proie au chaos.

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Des hommes et des dieux excelle à décrire, sous forme de cinéma, les inflexions des émotions et des convictions qui traversent les moines, les petits pas qui les font
avancer ou au contraire régresser, et le cheminement vers une réponse que toutes ces choses contribuent à bâtir. La contrepartie regrettable de cette direction exigeante est la mise à l’écart du
champ du film des habitants, civils et musulmans, du village jouxtant le monastère, alors que l’entente entre ceux-ci et les moines était un élément marquant du premier acte. Mais ce sacrifice
fait de plus en plus sens à mesure que le récit progresse et que le travail d’introspection de chaque membre de la confrérie se décante. Beauvois entremêle ces parcours intimes en respectant la
spécificité de chacun : il se cale pour cela sur leur rythme, leur état d’esprit, leurs passe-temps, mais aussi leurs moments de mise à l’épreuve personnels (un fusil braqué sur soi, la
vision au bord de la route d’une voiture carbonisée, une pénurie de médicaments, un cadavre à aller identifier). Bien que la mise en scène reste très neutre, et les dialogues mis dans la bouche
des personnages très naturels, la personnalité de chacun se révèle ainsi incontestablement à nous : l’humour et le détachement de Luc – Michael Lonsdale, l’exigence théologique de Christian
– Lambert Wilson, l’angoisse d’échouer et de se retrouver seul et sans but de Christophe – Olivier Rabourdin… Et, à partir de celles-ci, la voie par laquelle chacun parviendra à la grâce.

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Des hommes et des dieux s’articule autour de cinq scènes majeures, où les moines sont tous regroupés. Deux de ces scènes sont le fait d’événements extérieurs (la
célébration de la messe de Noël après une première incursion du GIA, puis une prière commune alors qu’un hélicoptère menaçant tourne autour du monastère), mais les trois autres, indélébiles,
constituent des jalons placés par les moines eux-mêmes sur leur chemin commun. L’intelligence et la sensibilité dont chacun sait faire preuve de son côté se confrontent alors, et leur réunion
élève l’ensemble du groupe, ainsi que le film lui-même. Les deux premières sont des scènes de délibérations en commun, où chacun donne et détaille sa réponse à la question « rester ou
partir ? ». Beauvois fait alors usage de ces gros plans qu’il s’interdit par ailleurs dans le film ; ils lui servent à montrer que nous avons dans ces instants réellement accès à
ces hommes, à leurs doutes et leurs espérances. La force de Des hommes et des dieux se ressent intensément une première fois lorsqu’à leur second vote, les moines
parviennent à un consensus sur l’attitude à adopter ; en effet, ce consensus nous l’avons senti se former avant qu’il ne soit explicité, au fil des réflexions des uns et des autres.

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La deuxième fois que la force du film nous atteint, c’est quand lui-même touche à cette grâce et à cette harmonie si ardemment désirées. Cela se passe au travers d’une séquence qui restera
certainement comme la plus forte de l’année : un dernier dîner sans paroles échangées, mais baigné par une musique (tirée du Lac des cygnes de Tchaïkovski) qui charrie mieux que
tous les mots les émotions suprêmes qui pénètrent les participants de ce repas et les relient dans une même communion, une même paix. Beauvois s’autorise à nouveau le gros plan, et le resserre
encore pour ne plus cadrer que les yeux de chacun, au plus près de leur âme en paix avec eux-mêmes, avec ceux qui leur sont proches, avec le monde où ils ont trouvé quels étaient leur place et
leur rôle. Plans serrés qui nous transmettent à notre tour ces émotions, sous leur forme la plus pure et la plus bouleversante, sans avoir nul besoin d’entendre quelqu’un les exprimer. Xavier
Beauvois signe là un très grand moment de cinéma, qui trône au sommet d’un très grand film.

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