• Un prophète, de Jacques Audiard (France, 2009)

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Où ?

Au Rex (pas le « Grand », réquisitionné pour passer Destination finale 4 en 3D, mais l’une des salles du sous-sol)

 

Quand ?

Dimanche après-midi, à 17h15, après être allé voir Portrait de femmes chinoises

 

Avec qui ?

Ma femme

 

Et alors ?

 

Le vrai bon film de mon dimanche après-midi aura donc été l’outsider Portrait de femmes chinoises. Son histoire est simple et ses trois protagonistes ordinaires, mais le tout est
hissé par la direction claire donnée au récit et l’inspiration de la mise en scène, qui confère au film un regard clair et pertinent. L’absence d’un tel point de vue dans Un
prophète
est ce qui m’a grandement dérangé devant ce second film. Le destin carcéral du jeune Malik, qui entre en prison comme une feuille blanche – à peine majeur, plus ou moins
illettré, sans famille et sans clan – et en ressortira en héros de roman (caïd de haut niveau après de multiples trahisons, soutien de la veuve et de l’orphelin de son bras droit), nous y est
conté avec une neutralité absolue, vide de sens. A aucun moment on ne voit, on n’éprouve la perception qu’a Malik de ses entreprises et intrigues. Tout ce qui a trait à ses motivations, ses
peurs, ses irrésolutions est tenu à l’écart du cadre du récit – hormis via des scènes de rêves / apparitions brouillonnes et inutiles, et un sous-texte mystique incomplètement assumé. Les
premières comme le second semblent plus être là pour l’esbroufe que pour apporter un réel fond psychologique.

Pour être honnête, il faut préciser que cette carence ne se ressent pas encore au tout début du film. Comme je l’ai écrit plus haut, Malik est alors une feuille blanche, et le scénario dramatique
lui tombe dessus à son corps défendant, par un concours de circonstances : les détenus corses qui « tiennent » la prison veulent éliminer un prisonnier arabe, et il leur faut pour
cela un autre arabe qui ne soit pas encore affilié à son groupe ethnique. Pantin aux ordres, instrument de mort non consentant, Malik est alors montré dans ses moments de doute et de rébellion.
L’assassinat en lui-même est certainement la meilleure scène du film – on y ressent comment il est à la fois extrêmement facile et extrêmement difficile de tuer un homme. C’est une fois le héros
doté d’une conscience de soi et d’un plan d’action qu’il nous devient paradoxalement impénétrable.

On peut se dire que c’est alors le metteur en scène qui prend le relais, au travers du regard qu’il porte sur son héros. Les Scarface de Hawks puis De Palma étaient eux aussi en
leurs temps de pures boules d’énergie, qui se projetaient tout entiers dans l’action par instinct et pour l’adrénaline. Mais dans chaque cas le cinéaste ne se contentait pas, comme le fait
malheureusement Jacques Audiard dans le cas présent, de se placer dans le sillage de sa création ; il exprimait un point de vue tranché et réfléchi sur les agissements de celle-ci. Que ce
point de vue soit enthousiaste, critique, ambigu, etc. n’est que secondaire. L’important est qu’il existe, qu’il vienne donner un motif aux images. Or rien de tel n’est à l’œuvre dans Un
prophète
. Sans être ennuyeux le film sonne creux, l’enjeu de chaque séquence s’évaporant avant d’avoir pu irriguer la suite des événements – un phénomène de dissipation très proche de
celui observable dans American gangster de Ridley Scott. Malik n’est jamais suffisamment mis en danger, ni ses stratégies suffisamment parasitées par l’imprévu pour faire sortir
le récit de ses rails rectilignes.

La réalisation d’Audiard n’insuffle aucun trouble, je l’ai déjà dit, et il en est de même pour le suspense. Le cinéaste ne déroge à aucun moment à une ligne directrice trop monocorde et rebattue
– filmage à l’épaule très près des visages et des corps, photographie grisâtre, sentiment de claustrophobie assuré par l’omniprésence dans le cadre des murs et plafonds des cellules ou des
couloirs. La méthode a fait ses preuves, et elle tient encore la route ici ; mais on attendait forcément plus de celui qui avait si bien su trafiquer à sa manière les codes et les formes du
biopic (Un héros très discret) puis, surtout, du polar urbain (les excellents Sur mes lèvres et De battre mon cœur s’est arrêté). Loin de
la tension et de l’ambivalence de ces précédents films, Un prophète a le ronronnement tranquille d’une série télé, efficace mais sans âme. Cela suffit à le placer bien au-dessus
du tout-venant médiocre du polar français, mais dans l’absolu le niveau ainsi atteint reste peu élevé. Peut-être faut-il y voir une conséquence du fait qu’Audiard, pour la première fois, n’est
pas à l’origine du script ; et qu’il a filmé ce dernier consciencieusement certes mais sans y trouver d’inspiration, sans le vivre réellement. Un coup dans l’eau, pour rien.

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