• Une semi-intégrale Paul Thomas Anderson (Magnolia, 2000, et Punch-drunk love, 2002)

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Où ?

 

À la maison, en DVD zone 2

 

Quand ?
La semaine dernière, avant la sortie imminente du nouvel opus du réalisateur : There will be blood avec Daniel-Day Lewis

 


Avec qui ?

Ma femme pour Magnolia, et seul pour Punch-drunk love.

 


Et alors ?

 

Ces 12 derniers mois ont été l’occasion de renouer contact avec un bon nombre de réalisateurs américains parmi les plus influents et dont l’on était sans nouvelles depuis plusieurs années :
2004 pour Tarantino et les frères Coen, 2002 pour Fincher, Lynch (Inland Empire) et P.T. Anderson, dont le retour avec le
monumental There will be blood (critique à venir) a été salué par 2 oscars, plus l’Ours d’Argent du meilleur réalisateur au Festival de Berlin. Cette récompense qui
intervient pour le 5è film du cinéaste est l’occasion de revenir sur les précédents – ou au moins 2 d’entre eux.

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Après un 1er film tellement anecdotique qu’il n’est même pas sorti en salles en France (Hard eight), P.T. Anderson explose en 1999 avec Boogie
nights
, plongée dans l’âge d’or du porno américain entre la fin des années 70 et le début des années 80. La période décrite par le film, son ampleur, sa bande-son compilée avec soin
et son réalisme « de la rue » font que le nom de Scorsese est souvent évoqué comme mentor du jeune prodige. De cinéma scorsesien, il n’en est plus du tout question dans les 2
longs-métrages suivants de Anderson – de sexe non plus, ou alors comme un facteur de contrariétés plus que de plaisir, ce qui est un revirement inattendu par rapport à la sensualité débordante et
spontanée que le réalisateur faisait émaner de ses actrices Heather Graham et Julianne Moore dans Boogie nights.

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Les 2 films qui ont suivi, Magnolia (Ours d’Or à Berlin) et Punch-drunk love (prix de la mise en scène à Cannes), sont comme les 2 faces d’une
même pièce : 3h contre 1h30, drame noir serré contre friandise romantique acidulée. Mais tous 2 ont étonné, voire irrité, par l’impossibilité de les ranger dans une case précise et par leur
trop-plein volontaire d’images, de sons, de génie porté en bandoulière. Ce double débordement, visuel et sonore, s’exprime de manière différente dans chacun des 2 films : par une dilatation
de la durée et du nombre de personnages qui dépasse même les canons habituels du film choral pour Magnolia ; et à l’inverse, dans Punch-drunk
love
, par le biais d’un surremplissage continu du cadre et de la bande-son.

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Magnolia échappe aux pièges du film choral en en annulant un des présupposés : faire « vrai », transmettre des vérités profondes sur l’existence grâce à la
juxtaposition de tranches de vie de plusieurs individus, dont les différences et la complémentarité seraient la clé de l’obtention d’un échantillon représentatif idéal. Tournant le dos à cette
technique le plus souvent vouée à l’échec, Anderson assume l’artificialité à toute construction de fiction. Il y gagne une liberté et un déferlement d’idées tourbillonnants et rien de moins que
jouissifs sur le plan cinématographique. Un long prologue mi-figue (d’improbables et édifiants concours de circonstances, à la limite des légendes urbaines…) mi-raisin (… mais contées avec un
appétit et une délectation contagieux) donne le ton, et nous catapulte sans plus de sollicitude au milieu d’un numéro d’équilibriste marathon.

 

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Non content que le rythme et la tension du récit suivent les évolutions de la météo (bourrasques – déluge – accalmie – pandémonium) ou des chansons pré-existantes d’Aimee Mann jouées dans leur
intégralité et dont les paroles recouvrent parfois les dialogues du film, Anderson agrémente ici et là Magnolia de « coups » ponctuels étourdissants d’audace
et de réussite. Séquence de comédie musicale polyphonique après 2h15 de film, pluie de grenouilles en guise de final : quand les barrières entre les genres, les sentiments, les degrés de
lecture explosent ainsi, pas étonnant qu’on ne saisisse pas tout à ce qui se passe. Mais on est pris dans le cyclone d’un vrai plaisir de cinéma ; et on comprend, au fond de nous, ce que le
film a de sincère et de poignant.

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Car mener de front et sans s’essouffler cette demi-douzaine d’histoires n’est que la 1ère qualité de Magnolia. La lame de fond qui porte le récit est tout
aussi impressionnante dans son obstination et son intensité. Sous son apparent éparpillement, le scénario travaille de manière presque névrotique un unique sujet – les rapports père-fils
conflictuels, dans lesquels la figure du père est sacrément malmenée à différents stades d’échec de la relation. Même lorsque le cœur d’une des histoires est une relation de couple, celle-ci est
vue dans l’optique des enfants existants ou à naître. Je l’ai déjà dit, Magnolia est une œuvre éminemment sincère. Toutes proportions gardées, il donne le sentiment
d’assister comme chez Bergman à une thérapie intime – mais talentueuse, donc partagée – du réalisateur par la parole. Car en définitive, Magnolia c’est principalement
des personnages filmés en gros plan qui parlent. Certains en ont même fait leur métier : coach pour hommes en mal de virilité, présentateur d’un quiz télévisé à succès. Et quand la vie
touche à son terme, chez les 2 protagonistes touchés par le cancer, c’est la parole qui les quitte en premier.

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À mesure que le film avance, ce mouvement moteur donne une importance de plus en plus grande à celle parmi les intrigues qui est le plus porteuse d’espoir, où un couple pourtant improbable (une
junkie abusée par son père dans sa jeunesse et un flic chrétien pratiquant) se forme sur des bases saines. Cette croyance en une force prodigieuse délivrée par l’amour constitue également
l’horizon de Punch-drunk love, qui s’achève sur une scène quasiment identique à la conclusion de Magnolia, avec un homme et une femme acceptant
de se jeter à l’eau en se faisant confiance après s’être avoué leurs faiblesses.

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Avant cela, Punch-drunk love aura suivi une idée précise : faire un film le plus romantique possible en prenant le contre-pied de toutes les recettes habituelles et
éculées. Les 2 acteurs principaux, Adam Sandler et Emily Watson, n’ont rien d’icônes glamour et ne sont pas mis particulièrement en valeur par Anderson. Les décors sont eux aussi loin du conte de
fées : hormis une escapade à Hawaii (laquelle ne vient qu’une fois la relation amoureuse établie), le film se déroule dans les lieux exemplaires de l’anonymat moderne que sont une zone
industrielle, un hypermarché ou un labyrinthique immeuble d’habitation. Enfin, en guise de seconds rôles sympas et complices sont fournis au choix une bande d’ouvriers mexicains impassibles ou
les 7 sœurs harpies et castratrices du héros.

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De même que dans Magnolia le cinéma liait les vies, ici ce même art crée l’amour, la beauté, la sérénité dans un monde flippant ou déprimant selon les moments. Tandis
que ses idées farfelues de scénario (un harmonium déposé en pleine rue aux pieds du héros, une opération de miles aériens cadeaux outrageusement favorable…) font naître un humour
incongru et irrésistible, Anderson s’appuie sur ses 2 fidèles collaborateurs Jon Brion à la musique et Robert Elswit – oscarisé pour There will be blood – à la
photographie pour composer une vision magique, qui transcende la réalité de chaque plan et de chaque lieu. On nage en pleine féérie, par la grâce des plages musicales décalées (beaucoup de
percussions, de bruitages qui commentent l’action) et à l’importance aussi grande que dans une comédie musicale, et des effets visuels concoctés en direct par Elswit, comme ces nombreux
flares, éblouissements et traînées de lumière aux couleurs vives qui traversent l’écran. Ou encore mon moment préféré, le plus simple et le plus romantique de tous : la lumière
d’une cabine téléphonique qui s’allume soudainement quand une fille répond favorablement à votre déclaration d’amour.

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Pour conclure, évoquons les acteurs et actrices des 2 films. Ils et elles sont tous géniaux, car Anderson est un génial directeur d’acteurs – qui n’est pas étranger au 2è Oscar remporté par
Daniel Day-Lewis pour son interprétation dantesque dans There will be blood. Magnolia et Punch-drunk love partagent
une même performance aussi discrète que capitale de Philip Seymour Hoffman. Avant d’éclater au grand jour dans Truman Capote, celui-ci faisait déjà la preuve ici de son
talent, en seulement quelques scènes et dans des rôles sans autre finalité que celle de servir l’histoire et le partenaire. Tom Cruise et Adam Sandler peuvent lui dire merci, ainsi qu’à Anderson
pour ces contre-emplois servis sur un plateau et qui cernent beaucoup mieux les 2 stars que tous leurs rôles alimentaires réunis.

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