• The yards, de James Gray (USA, 2000)

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Où ?
À la maison, l’indispensable (comme il le sera démontré dans cette chronique) DVD zone 1 contenant la director’s cut du film ainsi que de nombreux nouveaux bonus

 


Quand ?

 

La semaine dernière

 


Avec qui ?

 

Ma femme

 


Et alors ?

 
 

Contrairement à beaucoup de sites et magazines autrement plus influents que ce blog, je n’ai pas intégré La nuit nous appartient dans mon top 10 de
l’année 2007. La principale raison de ce choix est qu’à mes yeux ce film, bien que très bon, reste assez nettement inférieur au précédent long-métrage de James Gray, le méconnu The
yards
. Sombre, tissant lentement la toile de son récit, sans concessions ni paillettes, et surtout absolument pas soutenu par ses producteurs (les frères Weinstein, fondateurs de
Miramax), The yards n’a à vrai dire même pas eu sa chance lors de sa sortie en salles il y a déjà 6 ans. Maintenant que James Gray est revenu dans la lumière grâce à la
fidélité des acteurs qu’il avait alors contribués à lancer et aujourd’hui devenus stars (Mark Walhberg, Joaquin Phoenix jouent tous deux dans les deux films), The yards
récupérera peut-être la place qu’il mérite : celle d’un très grand film.

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The yards est un train solidement rivé sur ses rails, et que rien ne peut faire dévier de sa route. On n’y trouve aucune subordination à l’appel du clinquant facile et
impressionnant, aucune déviation, même anodine, à la ligne droite qui conduit les personnages à leur destin collectif et individuel. Gray ne fait toutefois pas de ces derniers des marionnettes
manipulées par un réalisateur omnipotent ; le réalisme terre-à-terre et soigneusement appuyé des lieux (immeubles vieillots du Queens, friches ignorées de tous…), des situations, et des
enjeux macroscopiques (des affaires de corruption et de vandalisme entre des entreprises concurrentes sur le marché du métro new-yorkais, décrites par le menu par le personnage de Joaquin
Phoenix) veille à ce que ce ne soit pas le cas.

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C’est dans ce milieu imposant fortement sa présence aux individus qui l’habitent ainsi qu’au spectateur que revient Léo (Mark Walhberg) après avoir purgé une peine de prison. Il renoue avec sa
mère (Ellen Burstyn), sa tante (Faye Dunaway), sa cousine Erica dont il est amoureux (Charlize Theron) – le casting féminin est à la hauteur de son pendant masculin, si ce n’est supérieur – et
tente de s’intégrer à une nouvelle famille, professionnelle. Frank, le nouveau mari de sa tante (James Caan), haut placé dans une entreprise de trains, lui propose une formation débouchant sur un
emploi solide, solution à laquelle Léo préfère celle, plus immédiate et grisante, de faire le sale boulot sur le terrain aux côtés de Willy (Joaquin Phoenix), qui est aussi le fiancé de Erica.
Ces relations complexes et imbriquées les unes dans les autres ne pèsent pas sur le film, car elles se dévoilent et se développent graduellement, à l’ombre des événements et coups durs
successifs. Au fur et à mesure que The yards déroule ce fil, il met à jour une rivalité entre les 3 pièces rapportées masculines, Léo, Willy et Frank, pour se faire une
place de choix auprès du cœur féminin du récit.

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Cette concurrence non désirée est particulièrement forte entre Léo et Willy, à qui elle s’impose malgré eux au cours de 2 séquences magistrales situées dans le 1er acte du film. Une scène de
boîte de nuit, plus intimiste mais dramatiquement aussi puissante que celle de La nuit nous appartient, exprime leur rivalité amoureuse autour de Erica par tous les
moyens possibles autres que la parole : violence de la lumière rouge, intensité de la musique, alternance de sensualité et de dureté des gestes et des danses, fébrilité et nervosité de la
mise en scène et du montage. Quelques minutes plus tard, c’est un piège tendu par les concurrents dont ils venaient saboter les trains qui va définitivement les séparer, quand Willy tue un vigile
mais que c’est l’ex-taulard Léo, identifié par un policier, qui devient le suspect n°1. La tragédie n’a alors plus qu’à resserrer son filet autour de ses proies, qui s’enfoncent inexorablement
dans les ténèbres du chacun pour soi.

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Tandis que la bande-son, qui associe le thème des Planètes de Holst et des compositions dans le même ton d’Howard Shore (le complice habituel de Cronenberg), scande la progression
inévitable du destin, ces ténèbres dont Léo sortait tout juste en ouverture du film – au figuré comme au propre, avec ce superbe plan du métro sortant d’un tunnel – envahissent le film, grâce à
une lumière et des cadrages privilégiant l’évocation à la captation réaliste. Chaque couleur, chaque plan large ou rapproché participe à cette plongée sans retour, y compris dans les scènes
diurnes. The yards est une démonstration de mise en scène : plutôt que de forcer son récit (en ne tournant que des scènes de nuit et/ou traumatiques), Gray en
module le message par sa manière de le porter à l’écran. La cohérence du résultat, sa force morale qui monte jusqu’à nous prendre à la gorge dans les dernières scènes, son exigence folle mais
menée à bien du premier au dernier plan font voir James Gray comme un Kubrick des quartiers populaires de New York. Et font de son film une grande œuvre classique, qui marque durablement
l’esprit.

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En plus du director’s cut du film, ce DVD – zone 1, je rappelle – contient une impressionnante liste de bonus inédits et emballants. Le commentaire audio à 2 voix de James Gray
et Steven Soderbergh
répond à une question (absolument pas essentielle) : que font 2 réalisateurs quand on leur fait commenter le film de l’un des 2 ? Et bien, ils parlent
rapidement du premier plan (la sortie du métro du tunnel, non prévue initialement et récupérée par hasard dans un début de prise), puis digressent pendant 1h40. Le résultat reste éminemment
captivant car Soderbergh joue avec sérieux le rôle, en retrait mais capital pour relancer la conversation, de l’intervieweur. En face, Gray se révèle un client idéal puisqu’il adore parler en
détails de chaque aspect de son travail (placement de la caméra, frustrations du montage et retakes, enregistrement de la bande-son…), chose qu’il complète par une grande érudition
cinéphile (il semble incollable sur Hitchcock, Ford ou Kubrick et un talent d’imitateur hors pair et hilarant.

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Le fait qu’il s’agisse d’un director’s cut est l’occasion pour Gray et Soderbergh d’aller encore plus loin dans la description et la théorisation de leur rapport au cinéma : Qu’est-ce
qu’un « bon » montage ? Comment raconter le mieux possible son histoire ? Quel équilibre peut-on trouver entre ses propres aspirations / références et la certaine paresse du public
d’aujourd’hui ? Cette dernière interrogation en particulier ouvre sur une discussion sans garde-fous, qui mélange cassage de sucre sur le dos des réalisateurs commerciaux (un peu), autocritique
honnête (beaucoup ; et en filigrane, on peut même trouver dans cette piste de commentaires une annonce du relâchement de Soderbergh sur ses derniers films), et surtout un émouvant
renouvellement de profession de foi des 2 hommes envers une certaine conception, exigeante et volontaire, du cinéma – qui donne envie de faire soi-même du cinéma.

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La section interactivité du DVD comprend par ailleurs 2 modules inédits qui reviennent sur 2 étapes distinctes de la production. Visualizing The Yards montre la création
dans son coin par Gray d’un idéal de film, via des peintures à l’huile exprimant une vision de ce que seront les cadrages, les teintes, les ambiances. Ces « visions » sont par la suite
améliorées, peaufinées avec la complicité du chef opérateur. Les 10 petites minutes que dure ce bonus sont impressionnantes car on y voit un James Gray bel et bien décidé à faire en sorte que
chaque plan exprime quelque chose, et ait une raison d’être mûrement réfléchie. La table ronde avec les acteurs James Caan, Charlize Theron et Mark Wahlberg décrit grâce aux témoignages
de ces derniers commet se déroule l’intégration des interprètes au fantasme du réalisateur. On y apprend que les acteurs – ceux-là en tout cas – ne demandent que ça, être des outils modelés,
voire violentés (la sanction du « not good » claqué sans ménagement par Gray, les prises qui n’en finissent pas…) par un metteur en scène volontaire et sûr de son fait. En
quelque sorte, être un moyen et non une fin. Ces 2 modules font largement oublier la featurette de la précédente édition et reprise ici, qui est tout simplement nulle.

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Dernière nouveauté de cette réédition, les scènes coupées se voient proposer une nouvelle utilisation par Gray : commenter ces quelques scènes (à peine 6 minutes au total) en se
concentrant exclusivement sur les raisons qui ont poussé à les retirer. Forcément, après on a moins envie de s’y intéresser. Enfin, un mot sur le commentaire audio en solitaire
du réalisateur. Forcément en-deçà du reste où tout ou presque est dit avec bien plus de détails, il contient quand même des moments intéressants, quand Gray sonde loin dans le détail la
conception des scènes – le choix des décors, du mobilier… – ou au contraire prend de la hauteur par rapport à celles-ci, pour expliquer les fondements de son récit tragique et les règles qu’il
suit ou pour défendre avec vigueur son désir de pratiquer un cinéma n’éludant pas les questions politiques et sociales.

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