• The box, de Richard Kelly (USA, 2009)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

 

Quand ?

Lundi soir, en avant-première (le film sort en France le 4 novembre) introduite par le réalisateur en personne

 

Avec qui ?

Ma femme et mon frère

 

Et alors ?

 

S’il est une chose sur laquelle Richard Kelly mérite la considération de tous jusqu’à ses détracteurs les plus virulents, c’est sur sa capacité à se donner à chaque nouveau projet (Donnie
Darko
, Southland Tales et maintenant
cette Box) le matériau narratif et visuel nécessaire pour mener à bien l’ambition qui semble être à chaque fois la sienne : réaliser le film ultime du septième art. Le point
pouvant alors faire débat est son degré d’approche de cet objectif inatteignable, mais cette constance dans la mégalomanie le place pour le moment sur des bases uniques ; puisque même des
grands mégalos comme Kubrick ou Tarantino ont réalisé des films sciemment mineurs ici et là. Surtout
qu’en plus de viser haut, les longs-métrages de Kelly ont en commun d’être éminement personnels – y compris The box, que l’on anticipait pourtant comme un retour au bercail
hollywoodien (adaptation d’une nouvelle de science-fiction de Richard Matheson d’une redoutable efficacité de série B, Cameron Diaz en tête d’affiche star) après le chemin de croix que fut la
gestation de Southland Tales.

 

Le texte de Matheson, « Button, button », n’est en définitive qu’un prétexte, au potentiel pompé jusqu’à la dernière goutte avant même qu’on ait atteint la demi-heure de film.
La nouvelle se prête bien à ce genre de trahison car elle se résume principalement à un point de départ (un inconnu vous remet une boîte avec un bouton ; si vous appuyez sur le bouton, un
inconnu meurt et vous touchez un million de dollars) et à une fin abrupte – l’héroïne appuie sur le bouton, et une (mauvaise) surprise l’attend en plus de la valise de cash. Libre alors à celui
qui s’approprie le sujet de broder comme il lui chante entre ces deux bornes, et d’inventer sa propre surprise finale tant qu’elle reste déplaisante. Or inventer et broder, Kelly sait faire. Il
ne sera malheureusement pas possible d’en faire état dans cette critique, au risque de déflorer les multiples secrets et bifurcations enfantés par le cerveau prolixe du réalisateur – par exemple
que la boîte est en réalité une ***, la face visible d’un complot plus vaste impliquant des *** réalisant des ***. Deux choses sont sûres, on ne s’ennuie pas une seconde
devant The box et on ne risque à aucun moment de deviner ce que nous réserve la scène suivante.

Un élément que l’on peut se permettre de fournir sans crainte est que Kelly situe son intrigue précisément en décembre 1976. La raison contextuelle à cela, qui apparaît assez vite (les sondes
Viking partant à la recherche de traces de vie sur Mars), n’efface jamais complètement l’impression de coquetterie un peu vaine propagée par ce choix de date. Et ce malgré toutes les – bonnes –
justifications qu’elle amène, tel le fait que les objectifs de la NASA n’apparaissent pas plus mystérieux pour un œil néophyte que les moyens techniques mis en œuvre pour les atteindre (tout
comme dans le livre Bivouac sur la Lune de Norman Mailer sur la mission Apollo 11) ; soit une illustration parfaite de la troisième loi d’Arthur C. Clarke citée explicitement dans le film, «Any sufficiently advanced technology is
indistinguishable from magic »
. L’explicite, voilà la légère anicroche qui bride l’énergie de The box. Comme dans Southland Tales, Kelly se montre on ne peut
plus net dans ses intentions thématiques, avec bon nombre de dialogues qui ne s’embarrassent pas d’allusions pour colporter le message d’ensemble. Et du coup, comme Southland
Tales
, The box ne peut reproduire entièrement l’équilibre miraculeux à l’œuvre dans Donnie Darko entre grandiloquence et suggestion, mystère et
explications. Le cinéaste se montre cette fois moins enclin à nous laisser vagabonder à l’intérieur de son long-métrage ; il veut à tout prix nous diriger, nous asséner un propos. Peut-être
le fait qu’il ne reproduit pas (mais le reproduira-t-il jamais ?) le coup de génie du casting des excentriques Jake et Maggie Gyllenhaal dans Donnie Darko joue-t-il aussi un
rôle – Cameron Diaz et James Marsden forment un couple délicat et très touchant, mais ils subissent tout autant que nous les événements du film et ne peuvent lui apporter un supplément d’âme.

Ces quelques regrets évacués, il faut bien dire que The box est sans conteste une œuvre unique et très, très impressionnante. Dans mon article à propos de Southland
Tales
, je comparais ce dernier au Inland
Empire
de David Lynch, et en filant la comparaison Donnie Darko à Mulholland Drive. The box est pour sa part un tiers
Lost Highway (pour la brusque sortie de route au bout de trente minutes, et le non moins brutal rebouclage final sur le contexte de départ) et deux tiers Twin
Peaks
, pour tout le reste. Sans rien copier de la surface de la série culte de Lynch, Kelly en a retrouvé l’essence, les fondements en matière d’atmosphère et de dérangement. C’est un
mix à base de personnages qui ont tous leur part d’anormalité et relevé d’un va-et-vient ininterrompu entre la peinture du quotidien tranquille d’une petite ville (le lycée, l’usine, les
quartiers résidentiels, les mariages…) et de rageuses flambées de fantastique (les saignements de nez, la punition finale), entre l’humour badin – les conséquences de l’inondation de la maison –
et la tragédie la plus insupportable – une fois de plus, le final. Kelly mène avec autant d’entrain ces deux pistes antagoniques, et malgré la durée plus concentrée d’un film par rapport à une
série, rend convaincants les portraits des multiples mondes qui peuplent son esprit et son scénario.

La virtuosité formelle de Kelly mérite également le parallèle avec celle de Lynch. Le classicisme et la retenue ne sont assurément pas son fort, mais cela importe peu puisque sa quête de brèches
vers de nouvelles formes d’expression cinématographique est presque toujours couronnée de succès. Le pari de confier l’écriture de la musique instrumentale du film au duo Win Butler – Régine
Chassagne du groupe Arcade Fire, pour faire « du
Bernard Herrmann sous acide »
selon les mots du cinéaste, est une réussite totale. Loin des envolées lyriques de leurs deux premiers albums, Butler et Chassagne ont composé une
bande-son étouffante, qui vient mettre le film sous une cloche où l’air est vicié au point d’en devenir irrespirable. Quant à Kelly lui-même, il atteint son zénith avec une séquence dans une
bibliothèque municipale, de course-poursuite / suspense simultané / cauchemar / révélations / confrontation – de tout, quoi. La scène déborde d’idées visuelles (l’utilisation parfaite des grandes
pièces vides du bâtiment) et sonores (la scansion naissant du bruit des lecteurs se retournant comme un seul homme, rangée par rangée) tétanisantes qui achèvent de la rendre mémorable. C’est de
moments comme celui-là que l’on se souvient quelques jours après la séance, plus que du message désabusé (les humains sont de veaux qui font toujours les mauvais choix et les mauvais sacrifices)
martelé avec un peu trop d’insistance.

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